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MONSIEUR FLIPPER

  • Photo du rédacteur: Les carnets d'Asclépios
    Les carnets d'Asclépios
  • 21 déc. 2021
  • 6 min de lecture

Dernière mise à jour : 27 mai 2024



Aujourd’hui je vais vous présenter le fleuron de la prise en charge médicale, la pointe de la coordination du soin, le summum du parcours serein.


Monsieur B. est un brave monsieur de soixante six années. Petit buveur, gros fumeur, un peu obèse et pas très vif, notre cascadeur du jour dérape et se casse la cheville. Il est acheminé à la mine par les pompiers où il est pris en charge dans les règles de l’art : Radiographie, fracture, hospitalisation, bloc opératoire et retour dans le service de chirurgie.

Jusqu’ici tout va bien…

Six jours après son arrivée dans l’hôpital, monsieur B. est pris d’un malaise alors qu’il force sur les toilettes. Dernier réflexe, il s’agrippe à la cordelette rouge, son seul lien avec le bureau infirmier. Arrivée en trombe du cortège hospitalier, interne de chirurgie, infirmière et aide-soignante qui ensemble pénètrent dans la pièce borgne au milieu de laquelle monsieur B. trône, très chancelant et le slip à usage unique sur les pieds. Il explique se sentir mal à l’aise, non pas de sa position gênante, dans l’urgence plus de pudeur, mais il se trouve oppressé et faible. Le malade est replacé dans son lit quand il perd connaissance. Les cellules grises de l’interne s’agitent, l’influx nerveux transit avec fulgurance d’un lobe à l’autre à la recherche d’une explication. Il s’agit de raisonner vite. Enfin, c’est l’épiphanie dans sa caboche : « ACR, chariot d’urgence, faites le 15 interne ».

Le diagnostic d’arrêt cardio-respiratoire posé, il faut maintenant masser le pauvre bougre. En moins d’une minute, le patient récupère, c’est un miracle. Impossible de garder le patient dans un service de chirurgie, il est transféré dans le saint des saints, le service des soins continus.

Les cardiologues, du haut de leur tour d’ivoire, donnent les consignes et la surveillance se met en place. Pourtant aucun diagnostic ne tombe. Il existe normalement une indication à organiser une coronarographie à la clinique privée du coin. La « Coro », c’est un examen angiographique qui consiste à aller balancer du colorant dans les artères coronaires ayant pour rôle d’alimenter le cœur afin de voir si les tuyaux sont bouchés ou non. Comme tout geste où l’on fait joujou avec des artères, on a peur du saignement. C’est à ce moment que les antécédents du patient font leur entrée. Notre brave monsieur B., qui n’a pas la chance de son côté, est porteur d’un purpura thrombopénique immunologique. Pour la faire courte, un anticorps lui dégomme les plaquettes qui se retrouvent dans les chaussettes. Comme le rôle des plaquettes est de limiter les saignements, les cardiologues étaient tout de suite moins enthousiastes à l’idée de lui titiller la tuyauterie. Le truc, c’est que cette maladie de plaquettes se traite bien quand on frappe à la bonne porte. Par chance, un plaquettologue (néologisme) se cache dans l’hôpital. Après un traitement adapté, le taux remonte la pente mais les cardiologues de la clinique nous plantent. Il faut être en bonne santé pour être soigné dans le privé…

Quoi qu’il en soit, Monsieur B. se remet doucement, il ne nécessite plus de surveillance continue et se pose la question de son orientation. Où diriger cet homme à la sortie des soins intensifs ?

On aurait envie de se dire : en cardiologie. Mais pour les cardiologues, l’arrêt cardiaque n’est pas un problème cardiaque… (Je ne pensais pas écrire cette phrase un jour). Les collègues réanimateurs tentent leur chance en hématologie, service du docteur plaquettes, mais non, lui non plus n’en veut pas. Alors on se tourne vers la diabétologie, car quand même, le patient a un diabète. Il est aussi atteint de psoriasis, mais personne n’a appelé la dermatologie ! Il se trouve qu’un médecin remplaçant bonne pâte travaille en diabétologie en ce moment, ce médecin c’est moi.

Petit aparté pour débriefer le parcours de notre patient. Il se fracture la cheville, arrive en chirurgie, il fait un malaise, il termine en soins intensif, les cardiologues refusent de faire les examens adaptés en se cachant derrière de mauvais arguments, le patient sort des soins intensifs sans diagnostic franc et plutôt que de terminer le bilan en cardiologie, il termine en diabétologie. On est déjà mal parti.


Reprenons notre route. Je rencontre monsieur B. qui est un homme simple. Il se laisse porter dans le flux du système hospitalier. Pas de question, pas de rébellion, il obtempère sans s’en faire. En reprenant le dossier, je m’aperçois qu’il est vide. Aucune information sur le malaise ou sur les suites. En fouinant et en passant quelques coups de fil, j’arrive à reconstituer un puzzle qui me fait croire qu’il n’y a jamais eu d’arrêt cardiaque. Je pense très fortement, même si je n’en aurai jamais la preuve, que monsieur B. à fait un malaise vagal, que comme tout malaise vagal, le cœur s’est ralenti et que notre cher interne de chirurgie, dans un élan d’enthousiasme, a commencé à masser le pauvre homme. D’autant qu’un mec obèse, de plus de soixante ans, fumeur, diabétique et buveur ne réamorce pas son cœur avec trois coups de pompe sur le sternum.

Mais en homme de science, je reste factuel et je laisse le bénéfice du doute. Faisons comme si. Quarante huit heures plus tard, vers vingt-deux heures, le patient désature brutalement. C’est-à-dire qu’il respirait bien jusqu’à ce qu’en quelques minutes la vapeur s’inverse. L’infirmière de nuit décide à ce moment là de se passer des médecins, (en même temps, à quoi bon ?) et de le mettre sous oxygène. Á minuit, elle a la présence d’esprit de contrôler sa saturation en oxygène qui n’est toujours pas bonne. Un petit coup de molette et on augmente l’oxygène. A trois heures du matin, on se passe toujours du médecin mais comme le patient ne va pas bien, on rajoute encore de l’oxygène. A ce moment-là, le patient présente un problème respiratoire depuis 5 heures de temps et on lui a administré du dioxygène, autant dire cautère sur jambe de bois. En effet, si on ne traite pas la cause, l’O2 ne sert à rien. Il faut une évaluation médicale, un bilan urgent dans la nuit pour éliminer un infarctus, une embolie pulmonaire, une infection, un œdème aigue du poumon, etc…

Six heures du matin sonnent, l’infirmière prend ses clics et ses clacs et rentre chez elle. A huit heures, les aides-soignantes viennent faire la toilette de monsieur B., elles le tournent sur le côté et là, perte de connaissance, c’est le malaise. Le patient récupère après quelques secondes et replonge une seconde fois. Le malaise incite tout de même à appeler l’interne de garde. Entre temps j’arrive et vais voir le patient. Le diagnostic ne fait aucun doute, c’est un OAP. L’œdème aigu du poumon est dû à une défaillance du cœur qui emplit les poumons d’eau et entraine une noyade. C’est très désagréable et d’installation extrêmement rapide. Monsieur B a commencé à se remplir à vingt-deux heure la veille puis toute la nuit pendant que l’infirmière lui mettait tranquillement de l’oxygène.

Dans l’urgence, je fais débuter le traitement et ordonne une radiographie pulmonaire. Urgente la radiographie, tellement urgente qu’elle sera faite le lendemain matin car l’infirmière avait rangé ma demande laissée sur le bureau…

Je dois avouer que c’est à ce moment que j’ai commencé à m’agacer. Comme vous êtes des lecteurs attentifs, vous avez lu que l’OAP est imputable au cœur. J’ai donc appelé de nouveau les cardiologues pour leur demander, alors que le problème cardiaque ne leur semblait pas cardiaque, comment un homme sans problème cardiologique pouvait faire un OAP ? Le sarcasme a bien été saisi pour ce qu’il était : un avertissement avant que je ne m’énerve vraiment. Le patient a été transféré le jour même en unité de soins intensif de cardiologie.

Voilà comment un homme peut être prise en charge complètement de travers. Monsieur B. est entré pour une fracture de cheville, il a été massé pour un simple malaise vagal, les cardiologues n’ont pas souhaité s’en occuper, il a atterri en diabétologie où il n’avait rien à faire, il a fait un œdème aigu du poumon et l’infirmière l’a laissé suffoquer dans son lit tout une nuit pour ensuite partir en cardiologie, service qu’il aurait dû intégrer une semaine plus tôt. Alors certains crieront à l’événement isolé, diront que tout se termine bien, que je crache dans la soupe, que je remue la m**** pour rien, que je fais mon beurre avec des problèmes sporadiques, etc…

Mais dans ce séjour, personne n’a été à la hauteur. Ces anecdotes sont quotidiennes et ne viennent jamais à vos oreilles car monsieur B. est vivant, monsieur B, n’est pas au courant de l’envers du décors et monsieur B. ne portera jamais plainte. Pour le patient, l’hôpital, la société, les problèmes n’ont pas existé et ne seront jamais comptabilisés.

Moi je continue de crier que rentrer dans un hôpital public en 2021 c’est comme entrer dans un flipper, on est balloté d’un côté à l’autre, on rebondit sans rien contrôler puis on tombe inexorablement en espérant être rattrapé au dernier moment.





Iconographie: Extrait d'un tapis de Robert Combas







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