MONSIEUR H., L'HOMME ÉTALON
- Les carnets d'Asclépios
- 5 mai 2024
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : 8 mai 2024

Monsieur H. est arrivé dans mon service un mardi. Cet Homme de soixante-cinq ans était habituellement un grand gaillard dur comme un roc, mais en arrivant dans mon service, il semble aussi solide que de vieilles breloques.
Il surgit dans le service avec une fièvre comme seul motif. Seul motif ? Non. En creusant un peu, le patient tousse, il présente une éruption cutanée, des douleurs articulaires, une perte de sensibilité au niveau des mains et des pieds et un asthme ancien. Je jette un coup d’œil à son bilan biologique et je vois pleins d’éosinophiles. Je peux accrocher cette maladie de Churg and Strauss dans mon musée des diagnostics faits au lit du patient et au premier coup d’œil. Etant tout frais sorti du moule, j’applique et je déroule le protocole thérapeutique.
Rapidement s’installe entre ce patient et moi une certaine complicité. Cet homme simple et jovial apprécie mon franc parlé et la réciproque est vraie.
Cette pathologie a répondu en quelques jours aux traitements instaurés et un matin le patient se lève et le voilà transformé. C’est extrêmement satisfaisant pour le médecin qui assiste en directe à la disparition de la maladie ou tout du moins des symptômes. Après quelques jours d’hospitalisation c’est heureux que ce vieux garçon regagne sa maison.
Je le reverrai plus tard, en consultation.
La première fois survient un mois après son séjour hospitalier. Je suis surpris de voir ce bloc, ce colosse, cette montagne. Démoli dans son lit et aplati dans son fauteuil, je ne m’étais pas aperçu de sa carrure. Le patient n’est pas très grand, mais solide. Un titan sculpté dans la pierre, un cou absent, des épaules pouvant cacher deux docteurs Arctos, des bras ressemblant à deux arches taillées, des jambes comme deux troncs de chêne supportant cette charpente de titan. Monsieur H est un sportif : vélo d’appartement pour le cardio et il soulève également de la fonte.
« L’activité physique, combien de fois par semaine ? » demandais-je.
« Plusieurs fois par jour » répond-il en souriant.
Il vit dans une maison sans chauffage, à la rude. Il fait son bois et son jardin et ainsi, son mode de vie termine de sculpter ce que la fonte avait initié.
Comme je l’évoquais plus tôt, la maladie dont il est atteint touche les poumons, les articulations et les nerfs. Lorsque je le vois entrer dans ma salle d’examen, il est essoufflé.
Je m’interroge donc sur le réel impact des traitements initiés mais monsieur H. soulage mes inquiétudes en m’expliquant être venu à pied.
« - Ah oui ! mais où habitez-vous ?
-À Auxon.
-Mais c’est à plus de trois kilomètres !
-Oui mais ça me tient en forme.
-Très bien. » lançais-je étonné.
Son essoufflement est donc celui d’un homme de soixante-cinq ans qui vient de parcourir trois kilomètres en marche soutenue. J’examine enfin ce patient qui n’est absolument pas le même homme qu’il y a quelques semaines. Solide gaillard, il se porte comme un charme. Il persiste encore quelques symptômes légers mais supportable. J’ai donc donné congé au patient que j’ai revu en consultation fréquemment lors de la première année de son traitement. À chaque visite, le patient est venu me voir à pied et ainsi j’ai pu l’évaluer. En effet, son état et la description de sa reprise d’activité m’en disait long sur la maladie. Je sortais de l’école, je connaissais les échelles d’évaluation et de suivi des maladies systémiques sur le bout de doigts mais aucune ne pouvait-être plus précise que l’évaluation de monsieur H. sur sa propre échelle, son échelle personnalisée.
Plus les mois passaient, plus le parcours se transformait en une promenade de santé. Monsieur H était devenu son propre étalon. Sa visite à l’hôpital, son test. L’homme était devenu sa propre mesure. Et il m’avouait faire plus de sport qu’avant pour devenir plus que lui-même, il devenait meilleur que ce qu’il avait été, il impulsait du sens à sa promenade mais également à sa vie quotidienne.
J’ai vite laissé tomber mes protocoles de suivi. Non pas qu’ils soient sans intérêt, mais pour ce patient en particulier, il y avait mieux à faire : l’écouter.
« L’homme est la mesure de toute chose »
Protagoras
Iconographie: Atlas Farnèse, marbre, auteur inconnu, Ier siècle
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