UNE SEMAINE EN ENFER: UN SÉJOUR À L'AP-HP
- Les carnets d'Asclépios
- 5 mai 2024
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Dernière mise à jour : 8 mai 2024

Je suis en consultation une patiente de quarante-cinq ans qui porte une pathologie rhumatismale inflammatoire résistante à toutes les thérapeutiques déjà initiées. J’aime beaucoup cette patiente qui a un franc parlé et avec laquelle je ris beaucoup. Déçue des diverses prises en charge, madame Gantois est las. Elle est obèse, présente des douleurs diffuses, une maladie de Crohn et d’autres antécédents sévères, le tout rendant difficile son suivi et donc entrainant une perte d’intérêt des différents spécialistes qui préfèrent botter en touche ou rompre le suivi.
Je la découvre il y a neuf mois, désespérée et en pleine dépression.
Pour citer l’un des mes maitres lors de mon jury de thèse : « lorsque tu vois un Everest, tu ne peux t’empêcher de vouloir le gravir ». Alors j’ai proposé à la patiente de m’en occuper, de tout reprendre à zéro et de coordonner le suivi de chacun de ses antécédents.
L’un des chantiers consistait à lui faire reprendre un suivi rhumatologique dans un grand centre et de traiter son rhumatisme.
Je l’ai donc adressée à mon CHRU référent qui lui-même a demandé avis auprès d’un centre de référence parisien membre de l’AP-HP. Nom prestigieux, pour une réalité bien plus terne.
La patiente viens me voir ce jour. Elle s’installe dans le fauteuil, dépité, et me lâche : « je n’ai pas été déçue du voyage ».
Je reste prudent car les patients ont toujours un ressenti qui biaise la réalité et surtout parce qu’il s’agit de madame Gantois qui peut rapidement se courroucer.
Heureusement, sinon je ne l’aurais pas cru, elle est venue avec des photos, vidéos, enregistrements et son dossier médical qui atteste de ce que je n’aurais jamais imaginé en France en 2024 et encore moins à l’APHP.
Ma patiente arrive en taxi à l’hôpital le jour de son hospitalisation programmée. Elle est déjà subjuguée par les monceaux de mégots de cigarettes qui jonchent l’entrée principale. Ensuite elle entre dans un grand hall pour arriver à l’étage où se trouve le service. Là, elle voit sur sa gauche un grand couloir vide, délabré, à tel point qu’elle et son taxi n’étaient pas certains d’être dans le bon bâtiment. Mais si, c’était bien là. Une femme en blouse mauve passe devant eux sans même leur adresser un mot. Elle décide donc d’entrer dans ce qui semble être son service. Elle se présente toujours accompagné de son conducteur et frappe à la porte de l’office infirmier ou plusieurs personnes discutent. On lui intime d’attendre sur un ton sec. Après quelques minutes, elle se décide à frapper de nouveau et on vient. Une femme peu avenante lui demande si elle se présente pour une hospitalisation. Elle répond par l’affirmative en précisant qu’on lui avait donné rendez-vous pour quatorze heures.
« La chambre n’est pas prête, il faut attendre ». Madame Gantois est surprise, mais l’infirmière surenchérit : « on ne vous attendait pas ». Pourtant le séjour est prévu depuis plusieurs semaines.
« - Je fais quoi moi ?
-Et bien vous n’avez qu’à attendre au fond du couloir ».
L’attente durera quatre longues heures jusqu’à ce qu’on l’accompagne dans sa chambre, mais elle n’est pas au bout de ses surprises.
La chambre est dans un état de décrépitude telle que si l’on ne m’avait pas présenté les photos, je n’y aurais pas cru. Des murs craquelés de toutes parts, tachés, des interrupteurs qui pendent, une absence d’électricité dans la chambre, pas de douche, des toilettes dignes de celle d’une aire d’autoroute mal entretenue, des fenêtres qui tiennes par du scotch, le tout faisant douter la patiente de revenir directement chez elle le soir même.
Elle m’explique avoir songé à une plaisanterie, elle m’a même avoué que l’espace d’une seconde elle s’attendait à voir sortir un comédien pour lui annoncer la caméra cachée. Mais non, après une semaine de séjour, il ne s’agissait que de la triste réalité.
À vingt heures, elle s’enquiert de l’arrivée du diner, mais là aussi on ne l’a pas prévue sur la liste…
C’est « une banane pourrie, un yaourt nature sans sucre et un thé » qui feront office de repas.
La suite de la semaine est un long fleuve des mêmes inepties.
Repas qui ne seront jamais à heures fixes, petit déjeuner à dix heures, déjeuner à quatorze trente, diner une fois à vingt-deux heures, l’autre à vingt-trois ; entendre dire à une mamie, « elle a pas bouffée sa soupe celle-là » lors d’un plateau livrée à vingt-deux heures trente, la patiente dormant déjà ; des infirmières venant à trois pour prendre une tension car l’une doit appuyer sur la machine, l’autre tenir le brassard défectueux et la dernière la prise qui souffre d’un faux-contact.
La patiente n’a jamais eu d’électricité de la semaine, pas de lumière, pas de télévision. Elle a pris des « coups de jus » sur les interrupteurs du couloir. Les photographies du reste du service ainsi que de la cafétéria sont toutes plus déplorables que les autres. Le personnel est désabusé, inepte avec les patients.
Alors que madame Gantois se plaignait un jour de ne pas avoir de cuillère avec son yaourt, on lui explique qu’elle n’a qu’à le manger avec ses doigts… Que répondre à ça ?
Le cadre aurait presque pu être oublié si la prise en charge médicale était bonne. Lorsqu’elle m’a présenté son compte-rendu d’hospitalisation, je trouve des fautes dans le relevé de ses antécédents, pire, une erreur de nom (madame Ganfois). Quand on connait l’importance de l’identité pour les risques de vigilance à l’hôpital, la rigueur que cela demande afin d’éviter des erreurs de délivrance de médicament, d’identification en cas de complication ou d’archivage d’examen dans les dossiers, on se demande comment une telle bévue est possible à notre époque.
Malgré plusieurs remarques de ma malade, le nom ne sera pas modifié.
Manque de chance, elle a développé une rage de dent pendant le séjour. Pas de prise en charge de l’équipe de rhumatologie : « nous ne sommes pas dentiste ici » ; « vous irez vous faire soigner dans votre Haute-Saône ».
Elle a eu la présence d’esprit de répondre : « pourvu que je ne fasse pas d’arrêt cardiaque car vous n’êtes pas cardiologue non plus ».
Au final, elle appellera son dentiste de Vesoul pour qu’il faxe une ordonnance à l’hôpital et que la patiente se débrouille pour se procurer les médicaments.
Je vous assure que je ne prendrais pas la plume si elle n’avait pas apporté avec elle les preuves du délit. Même en écrivant ces lignes, je peine à croire ce que j’ai vu et entendu.
Ce récit et celui d’une hospitalisation dans un centre du tiers-monde, celui où la pauvreté des moyens entraine une désertification intellectuelle, une sécheresse morale pour aboutir à une maltraitance institutionnelle. Je n’en veux même pas aux équipes qui sont les premières victimes et qui, en se protégeant, se déshumanisent et se ferment à la bienveillance et l’empathie.
J’écris ses lignes parce que de tels endroits existent en France, à Paris, dans l’un des centres au nom des plus prestigieux. Nous nous offrons les Jeux Olympiques, nous souhaitons nous baigner dans la Seine, nous voulons projeter notre armé aux quatre coins du monde mais nous sommes incapables de soigner nos semblables avec le minimum de dignité qui leur serait dus.
Je suis désolé d’avoir indirectement imposé à ma patiente ce séjour. On dit que l’enfer est pavé de bonnes intentions, mais le manque d’intention envers notre système nous crée une rue pavée vers l’enfer.
Iconographie: Le Moulin par Rembrandt.
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