LA FORCE DE L’EXPÉRIENCE
- Les carnets d'Asclépios
- 6 mai 2024
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 2 juil. 2024

Journée pluvieuse de mai, je termine ma lourde journée de consultation. J’ai découvert un lymphome chez une jeune de trente ans, fais des consultations de sortie de soins intensifs, vu des patients pour des motifs sérieux et chargés de sens.
J’accueil le dernier patient, Mika. Il est accompagné de ses deux parents. Adolescent de douze ans, il entre avec un air débonnaire.
Son histoire n’est pas commune est je décide de vous la partager.
Il y a 9 mois, Mika pratique le volley à l’école. On se dépense sans compter, on joue, on crie et on partage avec les copains sans penser au lendemain. Une passe décisive, un moment de fierté, il s’élance pour frapper mais il est stoppé net par un météore surgit de nulle part. Un ballon venu directement du terrain adverse vient arrêter sa course dans la voute crânienne du jeune joueur. Il est secoué, s’immobilise et rigole machinalement.
Il termine son cours puis sa journée d’école et rentre chez lui.
Lendemain matin, huit heures trente, mathématiques. Pendant l’exercice, il est soudain surpris par son corps qui lui résiste. L’œil droit s’emplit d’une vision floue. La lumière devient insupportable puis viennent des céphalées dans les deux tempes. Il est aussitôt conduit à l’infirmerie avant que sa mère ne vienne le chercher.
Le tableau est violent, un seul recours, les urgences du centre hospitalier départemental. Le traumatisme de la veille n’est pas mentionné tant il semble anodin au jeune garçon. L’urgentiste élimine l’urgence, il n’y a pas de méningite, il sortira avec le diagnostic de migraine ophtalmique ce qui semble logique à la vue du tableau et de son âge.
Les jours passent sans que la vision ne s’améliore. L’enfant est toujours pris de douleurs temporales par crise et la lumière persiste dans sa lente et continue brûlure. C’est le début de la valse des examens. Electroencéphalogramme limite, électromyogramme normale, biologie sanguine sans particularité, examen ophtalmologique d’une triste banalité. C’est le moment de réaliser la sacrosainte imagerie par résonnance magnétique : l’I.R.M.
L’enfant est découpé en petites lamelles électromagnétiques. C’est là qu’un petit caillou dans la chaussure vient se glisser. Une toute petite formation qui va donner tant de fil à retordre. L’examen est normal à une petite exception, un petit kyste bien au chaud sous la couverture méningée dans son hémisphère gauche. La maman qui était confrontée à l’absence d’anomalie de toutes les autres investigations se retrouve face à un os à ronger. Elle va donc consulter les pédiatres qui, devant la petitesse de la découverte, préfèrent s’orienter vers des migraines. Mais la valeur ajoutée à l’urgentiste étant maigre, il faut proposer autre chose. Il se discute donc de partir à la chasse à l’épilepsie. Ça se tient.
Plusieurs EEG plus tard, les résultats ne sont pas concluants. Les pédiatres se lassent et les neurologues entrent dans la place. On reprend tout à zéro, mais statu quo. On explique tout sans omettre de détail dont le choc au volley mais rien n’y fait. La mère insiste mais ce n’est pas le kyste.
Plusieurs semaines ont passé mais le garçon n’a pas évolué. Il ne voit rien d’un œil, les journées sont rythmées par les céphalées, il s’amoche et de l’école il décroche.
Chute dans la moyenne, repli social, les parents perdent le moral.
Ils vont donc frapper à la grande porte, celle du centre hospitalier universitaire : Neurochirurgie. Après le chemin de croix pour obtenir audience, le professeur spécialisé en chirurgie pédiatrique les reçoit. Deux minutes. C’est le temps passé dans le bureau.
Pas de place pour les questions, il lit le compte-rendu des deux IRM. Impossible, ce n’est pas le kyste, donc le chirurgien ne pourra rien. Terminé.
Les parents et l’enfant sont au bout du chemin. Que les pauvres terriens ne puissent rien est une chose, mais si même le divin chirurgien est démuni, s’en est fini.
Les semaines passent encore. L’enfant vit dehors. Il est incapable de lire, de regarder un écran, de suivre à l’école. Il erre dans les rues de son petit village.
La maman est désespérée. Des heures sur internet à taper des suites de symptômes, à lire des articles, des forums, des témoignages. C’est alors qu’un nom apparait, le professeur Spero. Il travaille dans l’un des plus grands CHU de France.
Elle appelle le service, harcèle les secrétaires, parvient à joindre le neurochirurgien. Elle lui fait une demande, elle souhaite le rencontrer mais elle ne rentrera pas avec son fils tant qu’il sera malade. Ils peuvent le garder hospitalisé le temps qu’il faut, mais il faut trouver.
Vient le jour de la consultation. La petite famille se met en chemin pour quelques heures de route. Après avoir traversé plusieurs départements, avoir trouvé à se garer, passé le bureau des entrées, les longs couloirs, le secrétariat des consultations de chirurgie, l’attente dans la salle dédiée, enfin, un homme surgit et les invite à entrer.
Ils y sont, là, assis, installés devant leur dernier espoir.
Le prof est plutôt avenant. Il écoute attentivement toute l’histoire sans couper la maman. Elle lui tend les comptes rendus des IRM mais cela ne l’intéresse pas. Il veut les images. Il insert les CD dans l’ordinateur et scrute longuement chaque image. Il examine enfin attentivement l’enfant. Il se place à son bureau. Tout le monde est suspendu au verdict. De la bouche de cet homme dépend la vie d’un garçon, d’une famille.
« C’est le kyste !
Vous avez de la chance car j’ai été amené à voir ça une fois dans ma carrière. Un petit kyste anodin est percuté lors d’un traumatisme et entraine une réaction méningée. Quinze jours de corticoïdes et tout rentrera dans l’ordre. Inutile d’opérer ».
L’enfant a eu ses deux semaines de traitement et n’a plus aucun symptôme. Il vit normalement, a reprit l’école et le sport et a retrouvé les copains.
Ils sont tombés sur un grand chirurgien qui alliait l’écoute et l’ouverture d’esprit à la connaissance mais surtout à la force de l’expérience.
C’est en effet une composante d’un grand médecin. Il y a les connaissances livresques, les protocoles, mais surtout l’acquisition de l’expérience. Les autres médecins étaient probablement très bons, mais ce qui les différenciait du Pr Spero, c’est cette chose en plus qui fait d’un bon clinicien un spécialiste excellent, ce que l’on demande à un centre de référence, apporter le petit plus d’expertise acquis dans le creuset des grands centres universitaires.
Alors bravo professeur.
« Ce que l’on sait le mieux, c’est ce que l’on a deviné, puis ce que l’on a appris par l’expérience »
De Chamfort
Iconographie: Bleu II par Joan Miró.
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