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JUSTE UN MARDI SOIR

  • Photo du rédacteur: Les carnets d'Asclépios
    Les carnets d'Asclépios
  • 11 juil. 2023
  • 4 min de lecture

Dernière mise à jour : 8 mai 2024



C’était juste un mardi soir. Je suis posté aux urgences pédiatriques et je vois arriver un enfant de huit ans pour une douleur de la cheville.

Pourtant, il ne s’agit pas seulement d’une simple douleur articulaire chez un bambin. Ce bout de chou à été frappé quatre ans auparavant par une saloperie. Une bactérie est allée se ficher dans ses méninges. Une méningite foudroyante avec atteinte cutanée. De cette rencontre, l’enfant restera marqué à vie. Des cicatrices visibles, d’autres moins, mais il est certain que sa vie a mis un coup de frein à main. Déformation de la jambe droite qui a arrêté sa croissance malgré des greffes de peaux, séquelles cérébrales avec encéphalopathie secondaire. À huit ans il s’exprime uniquement par des cris. Un quotidien marqué par des crises d’épilepsies, voilà la vie de cet enfant qui a trop tôt connu la fin de l’innocence que doit offrir l’existence à une jeune âme.

Cet enfant arrive donc pour une douleur de la cheville.

L’infirmière l’installe, je jette un coup d’œil à son dossier et rapidement je me perds. À peine quelques années de vie et déjà tellement de souffrances médicales. Beaucoup de passages et toujours justifiés contrairement à la majeure partie des consultations aux urgences pédiatriques.

Chaque passage était suivi d’une hospitalisation voire d’une intervention. S’il est ici, ce n’est probablement pas pour rien. Mais inutile de supputer devant mon écran, la réponse se fera à la rencontre.

C’est alors que mon chemin à croisé le sien et celui de sa maman. C’est elle qui m’attire lorsque je pénètre la salle de soins. Elle est assise devant son fils qui lui me tourne le dos sur son fauteuil roulant. Elle est très belle, une femme que je pense plus jeune que moi et qui est marquée par une passivité mélancolique. Elle a dans l’œil cet éclat noir des gens trop habitués à l’horreur. Une normalité de l’anormal. Très polie « Bonjour docteur », elle m’explique froidement et calmement la situation. Sa voix est posée, sûre, las. J’examine l’enfant. On dirait bien qu’une arthrite torture sa jambe mutilée. J’indique que je dois faire réaliser une radiographie et surtout une prise de sang. Elle acquiesce, s’installe, sachant très bien qu’elle part pour un temps d’attente qu’elle ne connait que trop bien. Vidéo sur son portable, elle n’a cessé de distraire Kadour pendant mon examen. Je m’efface et la laisse là. Elle ne me regarde de toute façon plus, elle a repris sa tâche qui est son quotidien, s’occuper de son enfant malade.

J’ai continué ma journée et l’heure et demi qui m'a semblé passer rapidement a dû s’étirer longuement dans l’enceinte du box 4.

Comme le dirait Albert, Le temps est relatif.

Radiographie ininterprétable : des bouts d’os grignotés, opérés, déplacés. Même les chirurgiens pédiatriques du CHU n’ont pas osé se prononcer.

Je repasse dans ce vortex, cette antichambre, ce nœud dans la prise en soins où la mère et son fils attendent que le destin les emmène ici ou là.

Les mots sont entendus, sérieusement, lourdement, mais la réaction reste laconique. Je n’avais pas remarqué à quel point cette femme était soignée. Les ongles, les cheveux et malgré tout si présente avec son fils. Difficile d’imaginer qu’elle ait pu un jour être une fille joviale, légère, insouciante se laissant porter par la vie. Toujours aussi polie elle lance « Savez-vous lorsque la prise de sang sera rendue ? C’est seulement que j’ai d’autres enfants et je voudrais m’organiser pour ce soir ». « Ça ne devrait pas tarder. » que je réponds alors que j’imagine cette cellule familiale aspirée par un enfant très lourd tout en devant assurer l’éducation d’au moins deux autres petits êtres.

Bref, je sors jeter un œil à mon écran. Cinq minutes et le bilan est là. Syndrome inflammatoire. C’est une arthrite.


Nouveau passage, encore une mauvaise nouvelle. « Je pense que nous allons devoir le transférer au CHU. À la vue de ses antécédents et de la situation, notre hôpital n’est pas adapté ».

Si la lassitude cherchait un visage, je l’ai trouvé ce soir-là.

Il doit être autour de dix-sept heures trente. Le CHU est à une heure, puis là-bas nouvelle attente, nouveaux examens, encore du stress, … elle sait. Elle me jette un œil, elle voit que je sais qu’elle sait. Il n’y avait rien à dire de plus.

« Je vais les appeler et je vous tiens au courant ». Je n’ai pas quitté la pièce et elle est déjà en communication avec ce que j’estime être son mari ou tout du moins le père de l’enfant. Le couple a-t-il tenu face à cette ignominie de la vie ?


La réponse était celle que j’attendais : transfert ce soir. Je suis retourné annoncer la sentence. Fidèle à elle-même, elle a hoché de la tête, a pris les papiers, m’a demandé si mes confrères l’attendaient bien aux urgences pédiatriques. J’ai dit oui. Elle m’a remerciée avec une voix monotone tintée d’une triste sincérité. Elle est sortie, a salué l’équipe et a continué sa soirée en voiture, puis au centre universitaire.


Pour moi c’était la fin de ma journée aux urgences pédiatriques, juste un mardi soir. Pour elle c’était remettre les pieds dans l’atroce monotonie de la maladie de son fils, juste un mardi soir dans l’enfer de la souffrance d’un enfant malade.





Iconographie: Larmes par Man Ray






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