MONA LISA
- Les carnets d'Asclépios
- 21 juil. 2023
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : 8 mai 2024

Aujourd’hui c’est aux urgences gynécologiques que je suis affecté. Mon changement de vie passe par une remise à niveau. Après six années de bons et loyaux services à l’hôpital public, ce dernier a eu ma peau et je pars pour l’aventure de la médecine générale. N’ayant pratiqué qu’en médecine interne et médecine polyvalente, je dois me refamiliariser avec les jeunes patients et avec l’appareil féminin.
Ainsi, j’officie au service d’accueil non programmé de la gynécologie. Après un saignement lors du premier trimestre de grossesse, des vomissements gravidiques, des douleurs pelviennes, le service de pédiatrie nous adresse une jeune fille de quatorze ans.
Le motif de leur demande est la pose d’un implant contraceptif.
Cette jeune femme arrive dans notre salle d’examen. Elle semble intimidée par le geste à venir. Elle a les yeux pétillants d’une enfant dans le corps d’une presque adulte. Je suis stupéfait par son apparence candide. Brune, de visage oblong, ses yeux d’un noir profond interpellent par la lumière qui en émane. Elle s’installe toute de noir vêtue et éclaire la pièce par son franc sourire omniprésent.
Après une brève introduction nous l’installons sur le fauteuil de torture. Pendant que ma collègue prépare le matériel, j’essaie de la divertir en faisant la conversation.
Elle habite dans l’est de la France depuis sa naissance mais rêve d’aller vivre dans le sud. Elle a connu Perpignan, Marseille et Sète. Elle est fascinée par la mer, le soleil et la culture méditerranéenne.
Nous discutons des joutes que j’ai eu la chance de suivre il y a quelques années dans la ville occitane. La puissance de l’impact des lances contre les boucliers envoyant avec force les guerriers d’un soir au fond du canal qui traverse la ville.
Elle me confie que sa ville de cœur reste la cité phocéenne. Son vieux port, son caractère multiculturel et populaire ont eu raison de la jeune Franc-comtoise. Le geste commence et je maintien l’échange. Elle est très anxieuse, le montre avec une pointe de théâtral. Point de doute, c’est une fille du sud. Je poursuis ma diversion à but antalgique et le geste se déroule sans grande difficulté.
Avant de sortir elle a rigolé et fait des blagues d’adolescente. Sa manière de vivre l’instant en étant plus tout à fait une enfant et pas encore une adulte. Elle a ainsi pu regagner le service qui nous l’avait confiée.
Vous vous demandez surement pourquoi je vous rapporte cette histoire qui n’a rien d’extraordinaire.
Tout simplement parce que cette pose d’implant n’avait rien de banale. Elle a été recommandée par l’équipe de pédiatrie suite à son motif d’hospitalisation. Cette jeune femme avait contracté deux infections sexuellement transmissibles suite à des rapports non protégés qu’elle avait eu dans le cadre d’actes de prostitution. Cette patiente encore empreinte de l’innocence de son âge avait été enrôlée via des réseaux sociaux dans un réseau de proxénétisme pour mineure. Elle était ainsi vendue à des hommes sans scrupules qui lui avaient volée sa candeur en échange d’une chlamydia et d’un gonocoque. J’ai été surpris par le contraste de cette adolescente pétillante, souriante avec des rêves plein la tête et l’horreur dont elle a été victime.
On ne se rend compte de la misère de notre société que lorsqu’on la côtoie.
Je pense beaucoup à elle depuis cette consultation. J’espère profondément qu’elle saura trouver sa place au soleil, celle à laquelle nous aspirons tous, cet endroit qui nettoie nos plaies et nous aide à trouver le repos et la paix.
Iconographie: La Joconde par Léonard de Vinci
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