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UN CHAT SUR LES GENOUX

  • Photo du rédacteur: Les carnets d'Asclépios
    Les carnets d'Asclépios
  • 21 juin
  • 4 min de lecture

Dernière mise à jour : 28 juin




Samedi soir, vingt-deux heures, nuit froide d’une fin de février, je suis de garde et je reçois un appel du centre de régulation de Besançon. Il s’agirait d’une femme, plutôt jeune eu égard à la situation de fin de vie. Cette patiente est inconfortable, geint, se plaint et je suis appelé afin d’évaluer la situation.

Je prends la voiture, le village concerné se trouve à une quinzaine de kilomètres de chez moi. Je passe au cabinet chercher de la morphine, on ne sait jamais. Les informations reçues du médecin régulateur sont menues, je dois m’attendre à tout.

Je roule sur les routes de la campagne haute-saônoise, la plaine est noyée sous une lame de brouillard. J’arrive sous les lampadaires dont la lumière filtrée par la brume donne au village un teint blafard. L’adresse qui m’a été donné n’est pas la bonne, je tourne dans les rues puis je décide d’appeler le numéro fourni par la régulation. C’est la fille de ma future patiente qui répond et après quelques indications utiles, je me gare devant le portail. Seule une fenêtre de la maison est éclairée d’une faible lueur. J’arrive devant la porte où un homme m’attend déjà. Il m’invite à entrer et je fais la connaissance des enfants, un homme et deux femmes. C’est la plus jeune qui semble prendre les choses en main. Elle m’explique la situation de sa maman et parait désemparer. Cette dernière est atteinte de la maladie de Charcot, la sclérose latérale amyotrophique. Il s’agit d’une affection neurologique rare, héréditaire qui touche la communication entre le cerveau et la périphérie. Les patients commencent à présenter des signes autour de la cinquantaine, un déficit moteur puis, rapidement, la maladie progresse. C’est les capacités à parler, puis à déglutir qui terminent les festivités, juste avant que les muscles responsables de la respiration soient atteints et que la personne étouffe si ça n’a pas déjà été fait par des aliments au cours d’une fausse route. Bref, il s’agit d’une maladie terrible, dévolution rapide, incurable et dont la fin est toujours atroce.

 

La fille m’explique que sa maman est dans un lit depuis des mois et qu’elle souffre depuis au moins quatre semaines. Le médecin de l’hospitalisation à domicile lui a indiqué qu’il était trop tôt pour instaurer des médicaments sédatifs et antalgiques. La patiente ne s’alimente plus, ne parle plus, pèse trente-cinq kilos toutes mouillée et la fin est proche. Je ne parviens pas à comprendre ce que ce médecin attendait pour débuter des médications dédiées. Quelques jours avant mon passage, décision est tout de même prise de débuter un traitement pas morphine à petite dose mais la patiente souffre. C’est pour cela que je suis appelé. Après avoir pris connaissance du contexte, je pénètre dans la salle à manger, pièce dans laquelle est installé le lit médicalisé. Je fais la connaissance de Louise. Elle est cachectique, elle dort, enfoncée dans ce lit trop grand pour son petit corps rabougri. La fille est gênée car le seul moment de sommeil de la patiente survient lors de mon passage mais elle m’indique qu’il y a encore dix minutes, la patiente était agitée et plaintive.

 

Le but d’instaurer des traitements en soins palliatifs, c’est de calmer les souffrances, physiques et psychiques. Il existe deux molécules de choix : la morphine contre les douleurs et dans une moindre mesure les sensations d’étouffement et le midazolam contre l’anxiété. Ces substances sont très efficaces mais entrainent souvent un état de coma calme, ce qui est recherché par les malades et les soignants mais qui précipitent souvent la fin de vie.

 

Après avoir longuement échangé avec les enfants et l’infirmière en charge de la patiente que j’ai joins par téléphone, je décide d’augmenter le débit de morphine. La malade n’ayant pas de midazolam et cette thérapeutique ne pouvant être débuté le week-end, c’est la seule option.

 

Je reste encore un moment avec la famille afin de les préparer, les rassurer et les accompagner pour qu’ils se sentent moins seuls face à cet acte dramatique de leur vie.

 

Le lendemain matin, à huit heures pile, je reçois un appel afin de me rendre au chevet de ma patiente de la veille. Cette fois c’est pour aller signer son constat de décès. Je retourne donc sur place avec moins de détour cette fois. La journée reste marquée par l'ambiance hivernale franc-comtoise. C'est toujours délicas le voyage à la rencontre de la mort. On ne sait jamais ce que l'on va devoir gérer, l'état de la famille, la difficulté face à la perte. En arrivant, les enfants sont toujours là, ils n’ont pas ou peu dormi mais ils sont calmes, apaisés. La benjamine vient à moi pour me remercier. Sa mère ne s’est plus réveillée après mon passage, elle a dormi paisiblement, elle s’est éteinte vers deux heures du matin, là, dans sa maison, avec son chat sur ses genoux comme elle l’avait souhaité. Je me suis approché d'elle, elle paraissait calme, endomie dans son dernier sommeil, celui qu'elle attendait depuis que la maladie l'avait dévorée.

Je suis resté un moment pour échanger avec eux avant de les laisser se retrouver.

 

Cette nuit-là, je n’ai rien fait de plus que d’offrir à cette femme ce à quoi elle avait droit, le droit de mourir décemment, sans souffrir, apaisée, comme elle l’avait désiré.

 

En France la loi Léonetti est claire, elle impose au médecin de dispenser des soins palliatifs pour assurer à la personne malade une fin de vie digne et ce aux moyens de thérapeutiques susceptibles d’accélérer le processus sans que cette conséquence ne soit recherchée. En cette période de débat sur le suicide assisté, je pense que nous devrions mettre plus d’effort à ce que les lois déjà existantes soient appliquées afin que Louise n’ait pas à attendre ses dernières heures pour être soulagée du poids de sa maladie.

 

Chacun devrait avoir le droit de partir sans souffrance, entouré de sa famille, chez soit avec son chat sur les genoux.

 

À Louise.





Iconographie: Chat sauvage par Rosa Bonheur.




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