CARNET DE BORD (13 - 28 octobre 2022)
- Les carnets d'Asclépios
- 29 oct. 2022
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 11 mai 2024

Le jeudi 13 octobre de 2022 à 19 heures 39 minutes
Aujourd’hui je ne sais que choisir à raconter : -La patiente non covid mise à côté d’une patiente contagieuse. -L’interne de chirurgie qui double la dose des médicaments habituels. -L’interne des urgences qui ne lit pas le dossier, prescrit des médicaments d’une ancienne ordonnance complètement inadaptée. -L’interne d’urologie qui laisse mourir une patiente dans son lit car il ne veut pas s’occuper de ce qui est non urologique. -L’aide-soignant qui dit à un patient qui vient de tomber « Il me fait chier encore celui-là ». Ou -Le radiologue qui explique à mon confrère comment examiner un patient avant de demander un scanner. (sauf que le scanner donne raison à mon collègue).
A bien y réfléchir, je vais boire une bière et profiter de ma femme et de mes filles.

Vendredi 14 octobre de 2022, 16 heures et 31 minutes
Aujourd'hui, fin de semaine en effectif réduit. J'ai une patiente grave, qui sort des soins continus, âgée, obèse, grabataire, avec une infection sévère qu'on arrive pas à traiter. C'est dur. Ce matin elle vomit alors ce midi on lui donne un repas léger.
16:30, l'infirmière m'appelle car elle se fait agresser sans sommation par la famille parce qu'on ne "donne pas à manger" à cette dame.
Ils ne posent pas des questions, ils ne demandent pas d'information, il attaquent et menacent. La souffrance n'excuse pas tout.
C'est quoi ce monde, bordel, où on crie avant de parler, on se croit spolié avant de comprendre, on se plaint sans investiguer.
Je pense que les soignants doivent arrêter de s'écraser devant les familles mal élevées. Mettre une blouse n'enlève pas la sensibilité de l'être qui la porte. Nous avons le droit au respect. Ce mot qui n'a plus de sens aujourd'hui.
Bref, la semaine termine comme elle a commencé : de travers.
L'idée de quitter l'hôpital fait son chemin...

Mercredi 26 octobre de 2022 à 14 heures et 30 minutes
Aujourd’hui je rends visite, comme tous les matins, au monsieur de la chambre 27 porte. Il est là parce qu’il développe deux cancers. Pourquoi faire simple ? Il y a déjà une bonne semaine, il avait émis le souhait de changer de chambre pour être seul. Déjà que les maladies sont difficiles à supporter, l’hospitalisation est longue et surtout son voisin parle toute la nuit. Il n’est ni dément, ni mourant mais juste chiant. Alors je lui avais promis que je penserais à lui dès qu’une chambre se libèrerait. Ce matin c’est le cas. J’avise donc toutes les personnes concernées de mon souhait de placer monsieur G. en chambre seule. C’est le cœur plein du bonheur d’alléger son malheur que je quitte le service.
14 heures 30, ma collègue m’appelle. Pourquoi as-tu fait changer mon patient, monsieur C., de chambre ? Euh ! Je n’ai rien fait, c’est pas moi, laissez-moi tranquille ! Je pars enquêter, les investigations sont rapides, l’équipe s’est trompée de patient.
Et après on me demande pourquoi j’ai l’air fatigué en ce moment…

Le jeudi 27 octobre de 2022, heure inconnue.
Propos recueillis d'un collègue.
Dans notre hôpital, comme dans beaucoup d’autres, on a des services de chirurgie. Dans notre hôpital, comme dans beaucoup d’autres, les chirurgiens opèrent. Dans notre hôpital, comme dans beaucoup d’autres, ils s’avèrent très mauvais pour gérer les problématiques médicales qui peuvent suivre et surtout chez la personne âgée.
Au cours des huit derniers mois, j’ai pris en charge quatre patients déshydratés en insuffisance rénale qui avaient été oubliés dans un coin du service. Les quatre fois j’ai été appelé trop tard, les quatre sont morts.
Comme mes collègues ont eu des mésaventures similaires, on s’est dit que proposer au directeur d’ouvrir un poste de médecin généraliste pour s’occuper des problèmes médicaux en chirurgie, ça pourrait être une idée clinquante.
Refus catégorique.
Au fond, que sont quelques vieux chnoques décatis face à de belles économies ?

Vendredi 28 octobre de 2022, 09 heures et 57 minutes
Comme tous les jours, le passage de la voiture-lavante. Une espèce de véhicule sur lequel se dresse un fier agent d’entretien. Lorsqu’il passe, tout le monde trépasse. Que vous soyez soignant ou soigné, Il faut se décaler au risque de passer sous la serpillère. En plus de ce cavalier frénétique, un ou une agente le précède afin de déplacer les chariots, ordinateurs, paniers de linges et autres matériels entravant la folle chevauchée. Tout est déplacé en dépit du bon sens, poussé et entassé devant les portes des bureaux, des chambres des patients ou des réserves de matériel…
Ce spectacle est une allégorie de l’hôpital. Du travail non réfléchi, fait à la va vite sans respect pour les malades où leurs soigneurs par un agent pensant que sa mission prévôt sur tout le reste.
J’imaginais les cavaliers de l’apocalypse avec plus de panache, mais nous n’avons le droit qu’à un écervelé sur un balais à moteur, même le jugement dernier de l’hôpital est pathétique.
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