top of page

LE COFFRE-FORT

  • Photo du rédacteur: Les carnets d'Asclépios
    Les carnets d'Asclépios
  • 9 nov. 2022
  • 4 min de lecture

Dernière mise à jour : 11 mai 2024



Voici l’histoire d’un patient à la force fragile. Agé de vingt-sept ans, il a grandi dans le tourment. Marqué au fer rouge par la maladie dès sa prime enfance, il hérite de deux pathologies incurables ; deux voyageuses clandestines qui l’accompagneront là où sa vie le destine. Dès ses premières années, alors qu’il traverse l’âge de l’insouciance, des caresses, de la découverte du monde, des premiers contacts avec son espèce, il passe le plus clair de son temps entre l’hôpital et le cabinet de médecine générale. Le jeune Cédric est épileptique. Alors il fait des crises, il convulse chez lui avec toute la terreur que cela peut engendrer. Il connait l’arrivée des pompiers dans la maison, les voyages en véhicules de secours, harnaché sur un brancard, le transfert du camion au hall des urgences, ce court passage à l’air libre, froid l’hiver et chaud l’été, cette dernière promesse de liberté avant l’hospitalisation forcée. Il connait les aiguilles, les sourires de compassions, l’attente dans les salles d’urgences, les couloirs, les salons. Il est façonné par le rythme des services hospitaliers, cocooné par une équipe qui s’occupe de lui, choisi pour lui, décide pour lui. Chaque moment de sa vie est bercé par la maladie.

Elle se rappelle à lui pour tout, elle dicte à chaque heure la prise des médicaments, lui évite la télé, les excitants, l’oblige à rester sous la surveillance de maman, pas d’activité à risque, pas de, pas de, pas de. Les seuls enfants qu’il côtoie sont comme lui, malades, différents, amoindris, abîmés.

Enfin, comme si le carcan du soin ne paraissait pas suffisamment irrespirable, une deuxième maladie est venue se greffer un peu avant sa puberté. Il était épileptique, le voici diabétique. Il va devoir surveiller ses glycémies plusieurs fois par jour, s’injecter de l’insuline, surveiller ses repas, et cætera. Comme si sa vie n’était pas suffisamment encadrée, voilà qu’on lui retire toute responsabilité. Alors que Cédric devrait vivre son adolescence, il est infantilisé et choyé, ballotté et couvé, encadré et surveillé.

Cédric a vingt ans. Il n’a jamais joué avec les copains dans le village, n’a pas eu de mobylette, il n’a jamais flirté ni ressenti l’émotion d’un baiser, ne s’est jamais enivré en écoutant une symphonie endiablée, il ne passera jamais son permis, il n’a pas suivi d’études et voilà qu’au quart de sa vie, il est chez ses parents, dans sa chambre d’enfant sans aucune perspective d’avenir. Son attitude est encore celle d’un gamin de douze ans. Les années passent et se ressemblent…


Nous sommes en 2021, Cédric à vingt-sept ans et je le découvre en ce lundi matin dans la chambre 355.

Le motif d’entrée ?

Une crise d’épilepsie causée par une hypoglycémie.

Les deux maladies se sont associées pour le faire tomber. Mais l’hypoglycémie ne résulte que de son traitement, l’insuline, qui comme on la lui demande, fait baisser le taux de sucre.

Je m’aperçois en épluchant son historique qu’il est déjà venu pour la même raison il y a 5 mois, et encore l’année passée à deux reprises. Pour chaque passage il a bénéficié d’une consultation de l’infirmier d’éducation thérapeutique. L’objectif : revoir comment surveiller, monitorer, ressentir, contrecarrer la maladie. Mais Cédric le sait, il ne sait que ça. Il en sait peut-être même plus que ses infirmiers ou ses médecins. Quand je m’informe auprès de mes collègues diabétologues, ils me décrivent un jeune qui ne comprend rien, limité sur le plan intellectuel et qui n’en fait qu’à sa tête.


Pour me faire mon idée, je décide d’aller le rencontrer.

J’essaie d’entrer dans la chambre sans préjugé. Je pousse la porte et découvre le garçon allongé sur son lit dans une position lascive. Je le salue, m’empare d’une chaise et m’installe à ses côtés. Il parait se raidir à la vue de ma blouse blanche, mais rapidement se déride en voyant que j’attends qu’il me parle et non pas le contraire. Malgré ce que l’on m’avait exprimé, il s’ouvre, sourit, explique, comprend. Lorsque qu’on le laisse s’exprimer, ce jeune homme n’a rien d’un débile. Il comprend très bien comment fonctionne le diabète et son insuline. Vient alors ma question fatidique. Pourquoi n’applique-t-il pas les doses préconisées par sa diabéto ? Petit flottement. Ma consœur m’avait expliquée qu’il était têtu, mais il semble se dessiner tout autre chose. Pourquoi me faire un exposé parfait sur la maladie et bloquer au moment d’évoquer les posologies à appliquer ?

Je ne peux m’empêcher de penser que ce grand enfant ne cherchait qu’une chose : reprendre le contrôle. Dans son monde où tout est régi par sa maladie, ses traitements, ses soignants, ses parents, il a décidé de contrôler la seule chose qu’il lui reste. Lui-même. Habitué à écouter comme un enfant, se coucher, manger, se laver à heures dites. Formaté à un système normé dans le seul but de le soigner, il avait repris les commandes, que dis-je, la commande, la seule qui lui restait. Car il y a une chose qu’il a toujours tenu à décider et manipuler, c’est ce petit tube contenant son insuline. Ainsi, son acte de rébellion, sa variable de décision, son seul mode d’affirmation du libre arbitre était matérialisé par ce stylo d’une quinzaine de centimètre.

C’est ainsi que Cédric avait trouvé son moyen d’expression, il retrouvait le contrôle en décidant quand et comment la crise d’épilepsie surviendrait. Il mettait en échec toutes les équipes, tout le système en revenant encore et encore. Cédric avait repris le pouvoir.


Lorsque nous avions fini notre conversation, il me fit comprendre que comme les autres, je n’arriverais pas à mes fins. Alors qu’il m’avait fait croire, laisser naitre l’espoir, qu’il s’ouvrirait à moi, il a clos le débat et s’est refermé comme le coffre-fort qu’il était.

Cédric est reparti sur le chemin de sa vie sans lâcher la seule chose qu’on lui avait laissé : la liberté de se détruire.





Iconographie: Autoportrait de Vincent van Gogh revisité par Pierre-Adrien Sollier







Comments


Abonnez-vous pour être informé des nouvelles publications 

Bienvenue dans les Carnets d'Asclépios

© 2023 by The Book Lover. Proudly created with Wix.com

bottom of page