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ÇA OSE TOUT...

  • Photo du rédacteur: Les carnets d'Asclépios
    Les carnets d'Asclépios
  • 27 oct. 2022
  • 6 min de lecture

Dernière mise à jour : 11 mai 2024



Si j’ai l’habitude de frapper sur le système et les soignants, il y a tout de même un troisième acteur qui mériterait quelques paires de baffes (virtuelles bien évidemment, pas de violence). Les usagers du système de santé ont un rôle dans sa transformation et ses aberrations.


Et il y a une catégorie de patient qui malheureusement vol en escadron, par chance ils restent rares, mais prenons garde.


Parlons de l'un d'entre eux, Jean Nérienafaire, un patient de 50 ans atteint d’un lymphome B diffus à grandes cellules (précision inutile, mais les médecins adorent les mots à rallonge). Il passe son temps à se tirer sur la bistouquette dès qu’il entrevoit une infirmière en jupette (C’est pour la rime, les infirmières ne portent des jupettes que dans une certaine catégorie cinématographique). Au moment de sortir, il ne semble pas en capacité de reprendre le volant. Douleurs au poignet droit ou fatigue de la chimiothérapie, le patient n’est plus très agile et il lui faut de l’aide pour rentrer à son domicile.

Son épouse, réglée comme une pendule, débarque chaque jour dans le service à quatorze heures pile pour lui rendre visite.

Je déclare donc de manière convenue que madame Nérienafaire s’occupera de ramener son champion de tir sur l’élastique. Mais « non » me répond le força, ma femme ne viendra pas, je veux un taxi, « j’y ai droit ».

Autant dire que cette phrase a la fâcheuse tendance à déclencher chez moi l’envie irrépressible de torturer des bébés chatons (C’est une image, pas de violence envers les animaux).


Petite leçon d’éducation civique : L’assurance maladie fut créée dans une optique de pot commun. On met tous une piécette dans la panière et quand un membre du groupe a besoin, il se sert. Mais l’argument « j’ai donné, je prends, » ne fonctionne pas. Le pendant du droit est le devoir. Avoir le droit ne veut pas dire qu’on se doit d'utiliser ce dernier.

Le transport médical est une zone d’ombre du remboursement. Lorsqu’un médecin prescrit un traitement, il a (en général) pesé le pour et le contre sur des donnés (plus ou moins) objectives.

Pour le transport nous faisons bêtement confiance au patient. « Avez-vous quelqu’un pour venir vous chercher ?

-Non !

-Bon, ben taxi alors. »

Et un petit trou de plus dans le gros trou de la sécu (Un trou dans un trou n’a pas de sens, je sais).


Alors je ne remets pas en question le besoin souvent licite des patients à se faire transporter mais là je savais pertinemment que madame Horloge (C’est son nom de jeune fille) pouvait venir le chercher.

J’ai donc refusé. J’ai déclenché une tempête de mots doux. J’ai expliqué que je ne validerais pas un transport, nos yeux se sont fixés, interrogés, sondés, un bras de fer virtuel s’est mis en place. Et puis il a compris que je ne bluffais pas et que s’il voulait rentrer il devrait appeler.


Une petite victoire pour la société, un bond de géant pour l’éducation du patient.


Il ne se passe pas une semaine sans qu’un patient ne me sorte cet argument vaseux et que je ne me mette à torturer des pauvres chatons (dans ma tête seulement).


Il y une autre situation, en général induite par la même espèce de patient, qui cette fois me donne envie de briser des genoux:

L’ambiance dans le service est intenable. L’unité est pleine comme un œuf pas frais. Les patients sont lourds, certains mourants et ils prennent beaucoup de temps aux médecins. Un après-midi plus noir que les autres, un patient jusque-là relativement stable a la bonne idée de faire une fièvre mal supportée avec une baisse majeure de la tension artérielle. Il se trouve qu’il loge dans ces absurdités archaïques que sont les chambres doubles et que le laisser se dégrader à côté de son voisin n’est pas d’une franche délicatesse. Nous décidons de le transférer dans la chambre simple de monsieur Côme Dhabitude. Nous expliquons à ce cher patient qu’il va changer de chambre pour occuper la place de l’homme qui chauffe.

Que nenni lance l’animal, hors de question qu’il détale, monsieur paye une mutuelle, il exige donc de rester dans la suite qu’il mérite. La phrase était lâchée avec un dédain extraordinaire.

Dans un bon jour, magnanime, je me suis alors dit que le patient ne détenait pas l’ensemble des informations. J’ai expliqué à ce pauvre hère que les mutuelles remboursent les chambres seules si elles sont disponibles mais qu’elles ne permettes pas de les réserver. L’ordonnancement et l’attribution des chambres revient aux médecins. J’expose ainsi le besoin de ce pauvre homme qui souffre et s’enfonce dans les couches sombres de l’infection. Les chambres seules sont réservées aux patients graves.

Mais le patient ayant confondu l’hôpital public avec le privé ou pire avec l’hôtel du quartier a renouvelé sa complainte avec un mépris glaçant envers mon malade souffrant.

Je me souviens avoir eu cette pulsion sourde de l’attraper pour le ramener à la raison. Je me suis contenté de lui dire qu’il avait dix minutes pour faire ses affaires.

J'ai fait une remarque avant de partir :

« Demandez-vous si vous avez le droit ou le besoin ! J’espère que vous n’aurez jamais le besoin ».


Maintenant poursuivons la découverte de ces énergumènes avec madame Ness Céssaire qui a fait un petit passage à l’hôpital pour une infection un peu plus agressive que d’habitude. Ness est traitée, Ness va mieux, Ness est guérie. Je propose donc à cette gourmandise de patiente de rentrer dans sa chaumière…

« J’ai le droit aux soins de suites, je ne veux donc pas rentrer chez moi ».

Cette injonction me donne la sensation d’entendre des griffes de chat sur un tableau noir et j’ai envie de me percer les tympans au pic à glace. Evidemment, mon côté sociable m’oblige à expliquer qu’aller en rééducation quand c’est inutile ne sert à rien. Si tu penses que c’est ton droit et que tu seras lésée si tu n’y vas pas, je te demande de réfléchir : Si au restaurant tu as pris la formule entrée-plat-dessert et qu’après le plat tu n’as plus faim, je ne vais pas te faire dégueuler en te forçant à avaler les profiteroles, il faut réfléchir Ness. Tu va mieux, tu marches, tu te casses.


Malheureusement, dans le style j’en ai toute une collection.


« -J’ai le droit à mon scanner.

-Scanner de quoi ?

-Je ne sais pas, de tout…

-Je veux bien demander scanner de tout au radiologue, mais je pense qu’il va mettre un contrat sur ma tête. Et pour chercher quoi ?

-Je ne sais, pas, tout ! Être sûr que je vais bien, contrôle des 50 ans, je paie des impôts quand même.

-Alors, je note, attendez, scanner de tout… pour chercher tout. »

Je vois déjà le radiologue avec sa fourche m’attendre au bout du couloir.

Je ne vais pas vous faire un cours de médecine, mais on ne fait pas de scanner à tout le monde à 50 ans sans signe ou facteur d’orientation : #épidémiologie#santépublique#rayonXquidonnentdescancers….


«- J’ai le droit à mon bilan sanguin annuel pour me rassurer .

-Ok, vous êtes de la même famille que le patient précédent ? Bon, vous avez gagné, voilà votre ordonnance, tenez ».


« -Je me suis fait une entorse et vous ne me faites pas de radio… c’est quoi ce service? ».

En fait, il n’y a aucun intérêt à faire une radio pour un entorse sauf exception. Inutile également quand vous vous tapez l’orteil contre la table du salon (oui je sais que ça fait très mal), quand on se cogne la tête contre un placard, quand on se casse un ongle ou que l’on pète de travers.


Alors j’entends déjà les membres de cette caste me dire que je suis hautain et dédaigneux, alors comme vous ne savez vraissemblablement pas lire entre les lignes, je vous la fais plus claire: Ce qui m’énerve, ce n’est pas que vous ignoriez qu’on ne fasse pas systématiquement de radiographie pour une entorse, c’est la manière dont vous vomissez vos paroles avec la sensation de tout savoir et de tout vouloir qui me rend fou. Comme je l'ai déjà avancé dans d'autres publications, chaque personne est responsable de ses actes et de ses paroles, l'argument de l'inquiétude est donc une faribole.

Alors je persiste et je signe: vous devriez plutôt avoir le droit à une coloscopie gratuite et sans anesthésie pour chacune de vos exigences…


Le serment d’Hippocrate est clair, offrir le soin à tous mes congénères, mais parfois, même avec des efforts et beaucoup d’abnégation, il est difficile de soigner des cons.




Iconographie: Dessin de Sempé.







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