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CARNET DE BORD ( 4 janvier 2023 - 7 février 2023)

  • Photo du rédacteur: Les carnets d'Asclépios
    Les carnets d'Asclépios
  • 27 févr. 2023
  • 5 min de lecture

Dernière mise à jour : 8 mai 2024


Mercredi 4 janvier de 2023, 12 heures pile.



Je me pose pour prendre un peu de recul. Chaque service de médecine est en surnombre, les urgences débordent et ne tiennent seulement que par le courage des soignants. On nous demande d’aiguiller les patients dans d’autres centres hospitaliers ! Où ? tout le monde est dans la même tranchée. On ne peut même pas incriminer le covid ou la grippe, les malades viennent pour d’autres problématiques. Merci Mitterrand pour la libéralisation des marchés, merci Chirac pour la T2A, merci Sarkozy pour l’hôpital entreprise de l’HPST, merci Hollande pour la passivité et surtout merci Macron pour le coup de grâce pré et post covid.

Vous irez vous expliquer devant le personnel des urgences de Metz.



Jeudi 5 janvier de 2023, 9 heures 36 minutes



Une image vaut mille mots. Alors voici mon service ce matin, les chambres pleines, des patients qui attendent dans le couloir, sans pudeur, sans sécurité, sans sonnette. Sous la responsabilité de médecins trop peu nombreux, sous la surveillance de trois infirmières dépassées par les 36 malades, des aide-soignantes qui ne savent plus qui laver. Nos regards se croisent, mêlés de honte et de tristesse. Que sommes nous en train de faire ? Un jeudi en France en 2023.

J'ai envie de pleurer mais je n'y arrive plus.





Mercredi 25 janvier de 2023, 14 heures et 30 minutes.



Entretien annuel. C’est l’une des nombreuses idées de génie du Ségur de la Santé. Un entretien annuel des praticiens hospitaliers avec leur chef de service puis des chefs de service avec les responsables de pôle et ainsi de suite. Objectifs : permettre de s’exprimer sur les problèmes à l’hôpital, ce que l’on peut modifier, quels peuvent être les points forts. Le tout est retranscrit sur papier et signé de la main de chaque praticien. Comme si les dirigeants n’avaient pas encore bien compris ce qui se passe depuis 20 ans grâce aux centaines de livres, de témoignages, de blogs, de lettres… En réalité, c’est seulement une manière de se dédouaner, de pouvoir affirmer que l’avis des médecins a été pris. Une perte de temps vouée à légitimer nos bourreaux. Cynisme quand tu nous tiens…





Jeudi 26 janvier de 2023, 14 heures et 20 minutes.



Sortie d’hospitalisation pour monsieur F. atteint d’une pneumopathie bilatérale diagnostiquée aux urgences, traitements et surveillance en médecine, amélioration complète du patient qui rentre en forme pour profiter d’une vie en bonne santé. Retour également pour madame S. prise à temps pour son AVC et qui sort sur ses jambes sans séquelles. Monsieur H., guérit de sa listériose, madame J. de sa pyélonéphrite et monsieur W. de son insuffisance rénale obstructive. Je ne prends même plus le temps de me satisfaire de la médecine lorsque l’on parvient malgré tout à bien la pratiquer. Quel métier magnifique, quelles conditions horrifiques.



Vendredi 27 Janvier de 2023 de 11 heures et 11 minutes à 17 heures et 23 minutes. .



Les urgences veulent à tout prix hospitaliser en gériatrie, service où je « dépanne » actuellement, une patiente de 75 ans (seul critère motivant ce service plus qu’un autre) pour une pneumopathie. Comme de coutume, pas d’appel de courtoisie, tu prends et tu te tais. Sauf que pour une fois je regarde le dossier. Pneumopathie hypercapnique avec acidose respiratoire sévère et dépendance à la ventilation non invasive. Traduction : pneumonie qui asphyxie, fait augmenter le CO2 dans le sang et l’acidifie. La dame à besoin d’une machine pour respirer. Tout médecin bien équipé cérébralement qui lit ce texte sait que la destination de cette personne est soit la réanimation, soit un service de soins continus, au pire la pneumologie, sinon c’est la mort. Alors pourquoi elle-est dirigée chez nous ? L’urgentiste me semble sensée dans ses propos, alors pourquoi ? La réponse est simple : il n’y a plus de place. Nulle part ! C’est donc le manque de lit qui dicte la destination de cette femme. À la fac, on nous a appris à affuter nos esprits pour proposer des prises en charge au cordeau et on nous demande maintenant de travailler avec un marteau rouillé en fermant les yeux. Bref, après une dizaine d’appels et six heures de négociation, la patiente ira en réanimation sous réserve que je leur prenne une patiente… c’est elle qui mourra en gériatrie.

C’est le jeu des chaises médicales.



Lundi 30 Janvier 2022 à 9 heures et 2 minutes



Monsieur Q. est agité. Monsieur Q. a 84 ans. Comme monsieur Q. ne se calme pas, l’interne des urgences et son maître lui administrent une dose de diazépam. Le diazépam ne calme pas monsieur Q., donc on lui fait avaler de la risperidone. Mais monsieur Q. est incontrôlable, alors on ajoute de la loxapine. Loxapine marche pas donc on tente une deuxième dose : échec. Toujours agité, on joue le va tout, un anesthésiant de bloc opératoire : le midazolam. Monsieur Q. s’est enfin endormi. Je l’ai retrouvé comateux dans mon service au petit matin, posé là comme un indésirable que l’on a enfin réussi à calmer.

Outre le côté pénalement répréhensible d’avoir administré tous ces médicaments à une personne âgée, je tiens à souligner l’incompétence notoire de notre duo de cow-boys. Il suffisait d’un simple geste, un doigt dans le derrière pour comprendre que monsieur Q. était plein. Un fécalome qu’il suffisait d’expulser pour le calmer. Heureusement, monsieur Q. va très bien. La moitié de ce qu’il a reçu aurait assommé un cheval mais ses reins, par chance, fonctionnaient bien et ont filtré le poison.

Nos cow-boys mériteraient le goudron et les plumes.



Mardi 31 Janvier de 2023, 08 heures et 30 minutes



Comment voulez-vous que cela fonctionne ? On va encore m’accuser de toujours m’énerver… La présidente de CME de notre établissement, qui est accessoirement urgentiste, hospitalise un patient parce qu’il a saigné du nez le matin et qu’il est constipé. Le patient va mieux que moi qui vient bosser avec une virose cognée. Il ne sait pas pourquoi il est hospitalisé. Il était constipé et a eu un lavement. Il a saigné du nez mais sans récidive depuis qu’il est à l’hôpital. Un scanner a tout de même été réalisé aux urgences (pourquoi ?), on retrouve fortuitement un épanchement pleural. Autant de problèmes qui peuvent aisément être explorés en externe. Je ferai sortir le patient aussi vite qu’il est arrivé. Cette présidente de CME qui chaque jour depuis 3 mois nous envoie un mail listant le nombre de patients aux urgences, le nombre de places disponibles à l’hôpital et nous pressurise pour faire un maximum de sorties afin d’absorber le flux, à celle-ci je réponds que charité bien ordonnée commence par soi-même.



Lundi 6 février de 2023, 10 heures 57 minutes.



Une réflexion matinale. Alors que le système de santé est en pleine crise, que la profession médicale connaît la pire dépression de son histoire moderne, que les acteurs de ce système subissent un épuisement intolérable, que la perte des vocations n’a jamais été aussi profonde, on demande à toutes ses personnes de travailler quelques années de plus… C’est par une vision libérale que notre machine de soin a été affaiblie et c’est par cette même pensée qu’elle va mourir. Les luttes se rejoignent et convergent…



Mardi 7 février de 2023, midi.



Alors que nous sommes à genoux, que les personnels manquent partout, que nous passons deux week-end par mois à l’hôpital, l’administration nous demande de venir travailler aux urgences le soir après nos journées et jusqu’à minuit pour pallier au manque d‘une dizaine de médecins…






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