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CARNET DE BORD ( 10 au 14 novembre 2022)

  • Photo du rédacteur: Les carnets d'Asclépios
    Les carnets d'Asclépios
  • 14 nov. 2022
  • 4 min de lecture

Dernière mise à jour : 11 mai 2024





CARNET DE BORD Jeudi 10 novembre de 2022, 10 heures et 2 minutes


Je suis devant la chambre de monsieur G. qui a fait un AVC. Il est totalement désorienté, agité, agressif. Son esprit chahute son corps sur les récifs. Dans le flot des vagues de la souffrance c’est des claques qu’il donne aux aides-soignantes. L’une d’elle excédée de ce combat perpétuel sort de la chambre et me hèle : « faudra peut-être lui donner quelque chose au patient ». Je suis devant mon interne, le ton est agressif. Je sais que ce patient est un problème, je sais aussi que les traitements susceptibles de le calmer s’avèrent dangereux sur son cortex enseveli sous l’âge et la maladie. Je lui réponds froidement que « jusqu’à preuve du contraire c’est moi qui m’occupe des prescriptions ».

Aujourd’hui c’est moi qui ai été un sale con.






CARNET DE BORD Vendredi 11 novembre de 2022, 13 heures et 25 minutes


La fameuse aide-soignante est venue me voir pour s’excuser de m’avoir apostrophé. Nous nous sommes expliqués. Sa souffrance d’être molestée, ma fatigue et ma susceptibilité. Un ton agressif pour elle, un besoin d’assurer mon autorité pour moi, les affres du métier, les difficultés du travail en équipe et le naufrage n’est jamais loin.

Discussions et explications font mieux qu’interjections et agressions.

Tout est bien qui finit bien.






CARNET DE BORD Samedi 12 novembre de 2022, 18 heures et 6 minutes


Encore une erreur, encore des séquelles, encore une prise en charge loupée. Madame I. vient parce que sa bronchite se transforme en pneumonie. Antibiotiques et aérosols salvateurs, les bactéries vont voir ailleurs. Manque de pot, l’insuffisance rénale du début d’hospitalisation a obligé l’interne de garde à changer son traitement anticoagulant. La dose a été mise au pifomètre. Pas de prise de poids, prescription précipitée, le médecin chef a-t-il été consulté ? Bref, la patiente est surdosée. Hématome du bras, compression nerveuse, main paralysée.

Elle entrait parce qu’elle toussait, elle ressort handicapée. Je n’ai pas la force de développer.






CARNET DE BORD Dimanche 13 novembre de 2022, 9 heures 8 minutes


Plan blanc, il faut faire sortir un maximum de patients de l’hôpital. Sauf que ! Sauf que les urgences sont anormalement calmes. Il reste des lits libres dans l’établissement. La cadre s’occupant de l’occupation des lits m’appelle. Il y a eu un décès au SSR, il faut faire sortir une patiente. Interloqué, j’explique qu’il reste des places, que demain, 7 sorties sont prévues dans notre service, que je ne ferai une sortie un dimanche seulement si l’hôpital est plein. Je suis seul aujourd’hui pour tout le service, je ne connais pas la patiente potentiellement sortante. J’ai le droit à une leçon de morale : Je ne participe pas à l’effort commun, je n’ai pas de vue d’ensemble. Bref, je ne suis qu’un ignare de médecin. J’indique donc que je ferai la sortie. Je l’invite donc à se mettre en relation avec la médecin responsable du SSR. Flottement. La fameuse cadre dédiée ne sait pas exactement dans quel service se trouve la place. Elle me demande donc de mener l’enquête et de négocier avec ledit médecin pour organiser la sortie. Je lui demande si elle plaisante. A priori non. J’explique donc que si la sortie est indispensable, elle et le directeur de garde au chaud chez lui s’occuperont d’organiser l’administratif et dans ce cas je m’engage à m’occuper du médical…

En fait elle m’explique que cela devrait aller, qu’elle me rappellerait au besoin.


C’est la crise seulement lorsqu’on doit faire travailler les autres… je n’ai jamais eu de nouvelle.


Dimanche 13 novembre de 2022, 18 heures 47 minutes


Week end de trois jours passé à l’hôpital. Plan blanc depuis le milieu de semaine. Réquisition des médecins d’astreintes pour une assignation en garde. Evacuation des patients vers les services dans les douze heures après leur arrivée quel que soit les capacités d’accueil dudit service. Doublement des lignes de garde de cardiologie et chirurgie orthopédique. Obligation de sortie des patients ne justifiant pas d’une hospitalisation formelle (Parce qu’on a l’habitude de garder les gens pour la beauté du geste). On continue de payer la mauvaise gestion de nos hôpitaux sous dimensionnés. Nous sommes mi-novembre, l’épidémie de grippe n’a pas encore frappé.


J’ai l’impression d’être un citron que l’on aurait trop pressé mais que l’on continue de serrer dans sa main sans qu’il n’ait plus rien à offrir…


Il me reste peut-être une larme.






CARNET DE BORD Lundi 14 novembre de 2022, 11 heures 48 minutes


Je suis en vacances depuis la fin de ma garde à huit heures trente ce matin. Je m’écroule dans mon canapé avec ce livre que je voulais tant finir (En passant, je vous conseille les œuvres de Christophe Ono Dit Biot). Je jette un œil sur ma princesse qui file à quatre pattes dans le salon malgré ses 39°C de fièvre. Fin de chapitre de mon roman. Je scrolle sur Facebook et tombe sur cet entretien de la docteure Julie Starck, pédiatre réanimatrice. Elle témoigne de la maltraitance dont sont victimes les enfants du fait des manques d’effectifs. Des petits sont laissés dans les couloirs faute de place à l’hôpital. Elle évoque un tri qui doit être fait pendant cette épidémie de bronchiolite. Un tri ! La seule fois où l’on m’a appris à trier, c’est lors de mes cours de médecine de guerre et de catastrophe. On avait déjà trié les patients pendant le covid, on a donc laissé mourir des personnes qui auraient pu être sauvées avec plus de place en réanimation. Il s’agissait de personnes à partir de 70-75 ans. Je trouve déjà cela ignoble en France en 2020. Mais aujourd’hui on fait des choix entre les enfants à hospitaliser et d’autres avec lesquels on prend un risque en les laissant rentrer avec une surveillance des parents.

Nous en sommes là, à jouer avec ce qu’il y a de plus cher dans nos vies, dans nos sociétés, ce pourquoi il faut se battre, notre avenir, nos enfants.

Je jette un œil sur ce petit être en devenir, ses beaux yeux bleus de neuf mois qui me contemplent, je sais que je n’ai pas fini mon combat…


Sommes-nous prêts à laisser mourir nos enfants pour comprendre ?


Je suis en congé encore pour quelques jours mais comment décrocher lorsqu’on lit ces ignominies ?


« Aux armes citoyens » disait le refrain…







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