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L'ENVOL

  • Photo du rédacteur: Les carnets d'Asclépios
    Les carnets d'Asclépios
  • 18 mai 2023
  • 3 min de lecture

Dernière mise à jour : 8 mai 2024




Retour de vacances. Changement d’internes, disparition des masques, nouveaux patients, je me réveille dans un monde différent.

Passé la phase d’adaptation, je m’immerge dans les dossiers de mes néo-malades. Monsieur M. est sa prostate qui s’inflate, madame N. qui a la hanche qui flanche, monsieur S. aux poumons rubiconds, et ainsi de suite jusqu’à monsieur X. Cet homme séculaire, sur terre depuis vingt lustres, se voit affublé d’une maladie au terme pompeux : une pneumopathie d’inhalation. Un aliment prend le mauvais embranchement et voilà que le résidu buccal termine sa course dans l’impasse trachéale. Corps étranger, bactéries, infection, son compte est bon c’est l’hospitalisation. Malgré les années, il conserve une stature imposante. Il n’est pas très grand, cinq pieds et demi seulement mais pour cent-quatre-vingts-sept livres. Lorsqu’il tombe, la terre tremble et elle a tremblé lorsque son corps massif, affaibli par l’infection a été en proie à la gravité.

Comme toute personne âgée, tomber est une condamnation. Gardez un vieux au lit pendant une journée et il vous faut une semaine pour le remettre en route. Désadaptation cérébrale, dénutrition, amyotrophie, confusion, escarre, … Monsieur X. est resté cloué Six jours sur son autel médicalisé. Six journées sans fouler le plancher. Si le corps est immobile, l’esprit s’agite : il sait ! Il en a trop vu des camarades se plier sans jamais se redresser. La condamnation sonne plus fort dans un esprit encore vif : il ne remarchera pas, il en est convaincu. Arthur, mon nouvel interne et moi faisons sa connaissance. Nos passages sont courtois, le centenaire est loquace et conserve un bon sens de la conversation. Après l’entrevue, l’avenir se gâte lorsque nous lisons la note des rééducateurs : le colosse aux pieds d’argiles vacille, il présente des douleurs dans les genoux, sensation vertigineuse, besoin d’un déambulateur, l’expérience est décevante. À la lecture de ce bref résumé je lance à mon interne : « Avec de la chance il marchera avec un déambulateur le reste de sa vie, au pire il perdra la marche avec les conséquences que l’on connait. Le lendemain, passé les turpitudes du retour de congés, je prends le temps d’étudier le cas X. J’aimerais le voir marcher de mes propres yeux. Arthur et moi nous positionnons donc de part et d’autre du patient. A l’impulsion, les jambes sont solides, il ne tremble pas. Campé sur ses appuis, l’homme semble pourtant hésitant. Et si toute cette histoire ne cachait seulement qu’une appréhension, une peur de toucher de nouveau le sol ? C’est ce qu’on appel le syndrome post-chute. Les patients fragiles, traumatisés par leur fracas se voient incapable de s’élancer à nouveau. On voit donc des corps tremblants, s’accrochant à tout ce qui les entourent, souvent dans la panique au risque de provoquer paradoxalement une nouvelle catastrophe.

Pour monsieur X. il s’élance rassuré par nos bras qui le sécurisent. Arthur à droite, moi à gauche, l’homme piétine puis pivote vers la droite pour passer devant le pied de son lit. Arthur se retrouve bloqué par le meuble et lâche prise me laissant seul garant de la stabilité du patient. Mais monsieur X. avance, il gagne en assurance et, comme une pulsion, une sensation, je me prends à le lâcher à mon tour, volontairement, comme un pari, une foi en l’Homme. Comme un oiseau qu’on lance en l’air, monsieur X. se pose sur l’air, il est soutenu par une force, une entité supérieure, il marche sans aide, sans canne ni déambulateur, il se laisse porter par le courant atmosphérique et semble virevolter comme une plume. Il n’a plus de masse, plus de frein, plus d’encombre, il vole.


Le problème n’était ni les genoux, ni les muscles, ni la pneumonie, seulement une perte de confiance. Ces quelques pas l’ont ragaillardi et les jours suivants il s’est pris à se lever seul pour aller aux toilettes, une fois puis deux et enfin tenter l’aventure du couloir, seul. Chaque matin, le défi était relevé et en quelques jours le vieil homme s’est envolé du nid pour regagner sa vie.





Iconographie: Le Petit Prince d'Antoine de Saint-Exupéry







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