LE JARDIN D'HADÈS
- Les carnets d'Asclépios
- 24 juin 2021
- 8 min de lecture
Dernière mise à jour : 18 juin 2024

Longtemps j’ai été choqué par ce gros problème dans le système. J’ai toujours hésité à le dévoiler aux profanes par peur de briser la confiance qu’ils portent dans le système public. Je me disais que ça ne servait à rien de casser la confiance, d’apeurer les gens, et puis je me suis fait cette réflexion simple que si personne ne parle, rien de changera. Dans ce monde corporatiste et secret qu’est le monde médical, si je ne sors pas du rang, très peu le feront. Je vais donc vous parler des erreurs médicales quotidiennes qui touchent les patients se présentant aux urgences. On le sait, les services d’urgences sont sous tension depuis des années. Je ne vais donc pas discuter du manque de moyen humain et matériel qui touche aussi les autres services mais seulement des moyens intellectuels que l’on se refuse et des dérives de management qui les exacerbent pour arriver à l’erreur. Dans les hôpitaux déjà en manque croissant de crédibilité, il ne se passe pas une semaine sans qu’un patient que j’accueille dans mon service n’ait été mis en danger par l’urgentiste. Voici quelques exemples caractéristiques et malheureusement non exhaustifs qui constituent ce jardin des enfers : Commençons avec Madame Marguerite, cinquante-cinq ans, elle garde la frite. Malheur à elle, son cœur chancelle, mais joie des innovations scientifiques, sa valve mitrale et maintenant mécanique. Cœur réparé mais anticoagulants à perpétuité. Son traitement ? du Préviscan ! Son calvaire : le dosage de l’INR. Pour rester en forme, cette Marguerite doit garder une anticoagulation de deux à trois fois la norme. Un jour, elle se présente aux urgences car il lui prend la mauvaise idée de saigner. Fuite de l’hémoglobine qui de quinze à cinq décline. Dosage de l’INR, à plus de 10, misère ! C’est à ce moment que la vie de la patiente aurait pu prendre un tournant radical, car plutôt que d’être surveillée dans un service approprié, plutôt qu’un antidote lui soit administré, plutôt qu’une transfusion soit ordonnée, plutôt que l’INR soit recontrôlé, Madame Marguerite termine au fond d’un service, sa vie offerte en sacrifice. Tout ce qui aurait dû être mis en œuvre a été oublié. Plus qu’une faute professionnelle, un attentat intellectuel. Essayons avec Madame Pâquerette, Soixante-neuf ans et toute sa tête. Madame Pâquerette se dit un beau matin que l’ampoule du séjour n’éclaire plus rien. Faute d’escabeau, prenons une chaise, se dit-elle alaise. Un coup de vent d’inattention et c’est l’avalanche dans le salon. Transport, urgences, attente, scanner, fracture. Sous le choc, la onzième vertèbre dorsale s’est tordue puis fendue. Le médecin a fièrement posé le diagnostic de fracture vertébrale puis a trouvé un lit d’aval en oubliant de demander son avis au spécialiste neurochirurgical. Il a également omis de prescrire un lit strict, mesure de protection de cet os qui s’effrite évitant à la moelle épinière d’être comprimée derrière. Il a poussé le vice jusqu’à demander au kinésithérapeute de passer à la première heure pour faire marcher Madame Pâquerette. Une chance que ce kiné fut doté du bon sens qui manquait à notre médecin des urgences. Il a ainsi évité de broyer, casser et paralyser par compression notre pâquerette en pamoison. Allons faire un tour du côté de Monsieur Tulipe qui débarque à l’hôpital comme une fleur sans pétale. Chute au domicile, confusion dans le camion, il débarque un jeudi matin pour mettre en jeu son destin. Pas de place encore dans le service, l’homme reste aux urgences ce soir et pour quels sévices ! C’est plus de vingt-quatre heures plus tard que monsieur tulipe sort du tiroir. Dès son arrivée il a pourtant la chance d’être enregistré par l’ECG et a le droit au bilan pour le sang. En une journée, sur les résultats, personne ne s’est penché. Sodium au rez-de-chaussée, calcium effondré et ce cœur qui s’est emballé. Cent-soixante-huit battements par minute… plus qu’il n’en faut pour tuer une brute. Par chance, un lit se libère chez moi, une nuit de plus aux urgences et c’était le trépas. On passe par Monsieur Chardon qui a le bourdon parce qu’il se retrouve dans la fille d’attente du circuit long. Cinquante neuf printemps sans antécédent, il présente une violente douleur thoracique qui n’annonce rien de magnifique. Tests biologiques, scanner thoracique, tout est logique, on découvre le diagnostic, on peut boucler l’affaire c’est une embolie pulmonaire. Appel du cardiologue qui indique un traitement anticoagulant immédiat devant cette embolie massive bilatérale au pronostic délicat. Patient jeté dans le composte des oublis, découvert à dix heure et demi, aucun traitement de prescrit. Je termine par ce monument d’humour qui est arrivé il y a quelques jours. Madame Magnolia, 75 pétales, pas une once de problème médical. Douze litres d’oxygènes, covid positive, la maladie est agressive, il faut passer à l’offensive. Vendue par l’urgentiste au service en charge de cette pathologie, le médecin du service refuse légitimement l’entrée qui doit absolument aller en réanimation. L’urgentiste qui ne sera bien évidemment jamais inquiété pour ses actes, a attendu que le médecin du service rentre chez lui vers dix-huit heures trente puis a fait baisser l’oxygène de moitié avant de faire monter la patiente ni vu ni connu. La patiente est arrivée suffocante, en détresse respiratoire aigüe. Le terroriste médical a également oublié ans sa grande sagesse de regarder la prise de sang avec un potassium dans les chaussettes, largement de quoi faire s’arrêter et le cœur et la tête. J’aurais pu vous conter des dizaines d’autres cas similaires qui se sont passées ces dernières semaines. Chacune de ses histoires est un scandale, un cauchemar, à chaque fois les patients sont passés à un fil de la mort. Mais aucun danger ne guète les ouvriers du Styx car chacun de ces cas est une « presque erreur médicale ». Alors pourquoi « presque » ? Parce qu’à chaque fois le tir est rectifié : par un interne, une infirmière, un médecin voire le patient. L’erreur est humaine pourrions-nous dire. Oui, c’est une certitude. Aucun médecin ni aucune infirmière, ni aucune aide-soignante ne peut se targuer de ne jamais avoir commis d’erreur. Si vous l’entendez, soit cette personne n’est pas soignante, soit une menteuse. Moi le premier, il m’est arrivé de me tromper mais jamais de manière répétée sur les mêmes problèmes et toutes les semaines. Donc l’erreur est humaine mais leur répétition n’est pas admise car c’est là que réside la vraie bêtise. Alors pourquoi dénombrer autant d’erreurs chez les urgentistes ? Leur formation est la même que pour les autres médecins, cette spécialité n’attire pas plus les mauvais que dans les autres disciplines. Une fois retiré le pourcentage d’urgentistes vraiment incapable, il reste la grande majorité. Selon moi il n’y a pas une seule explication mais un faisceau. Je suis d’autant plus étonné que j’ai été formé dans un service d’urgence sérieux et solide. Lors de mon internat, j’ai pu travailler dans un service d’urgence pendant six mois avec des urgentistes en postes souvent depuis plusieurs années. J’ai le souvenir de voir ces médecins appeler leurs collègues des « étages ». On demandait un avis pour débuter des antibiotiques, pour orienter un diagnostic, pour demander le bon examen. Dans quatre hôpitaux sur cinq dans lesquels j’ai travaillé ensuite, je n’ai jamais entendu un urgentiste appeler pour un avis. Je pense qu’il existe un cocktail fait d’un égo très mal placé, mélangé à une méconnaissance de leur limite avec une zeste d’une volonté de se débarrasser rapidement du patient. On éjecte en même temps que le patient, le problème et la responsabilité de sa prise en charge avec l’excuse à peine voilée que les urgences vont mal alors on ne nous reprochera pas un petit raté de temps en temps… Les services surchargés en manque de moyen font le lit de l’erreur. La politique du chiffre également. J’ai croisé des chefs de service d’urgences qui ne se cachaient pas de clôturer des dossiers des heures avant la sortie effective du patient pour améliorer les objectifs de durée moyenne. Quand ce type d’individu stimule ses équipes, le temps passé aux urgences par le patient devient un point de qualité au détriment de la médecine et dudit patient. Il y a aussi cette pratique devenue coutumière consistant à aller se coucher vers minuit, laissant ainsi les internes, parfois à peine dégrossis, s’occuper de pathologies diverses et variées pour lesquelles ils ne sont pas qualifiés. Je repense à cette garde lors de ma deuxième année d’internat. J’étais posté à la SAUV, le service d’accueil des urgences vitales. Il était quatre heures trente du matin et j’ai quatre patients qui sont arrivés en moins d’une heure trente. Une embolie pulmonaire massive avec un besoin en oxygène élevé, une suspicion forte d’infarctus du myocarde, une hémorragie digestive instable dont la tension artérielle ne remontait pas au-dessus de 7/4 et un œdème aigu du poumon. A trois reprises j’ai appelé ma cheffe, la docteure F. qui refusait systématiquement de venir et rouspétait d’avoir été réveillée (sur ces heures de travail). Je n’étais pas urgentiste, je n’avais pas vocation à le devenir, je n’étais même pas docteur et, alors qu’on touche au cœur du cœur du métier de l’urgence, les « urgences vitales », ce médecin préférait dormir plutôt que d’évaluer les patients. Cette pratique est très répandue et même normalisée dans beaucoup de centres-hospitaliers. Tout ce petit monde est bien caché derrière la pénurie médicale. Les trous dans les plannings poussent les hôpitaux à recruter des médecins dont les qualifications sont parfois plus que douteuses. L’administration fait feux de tout bois plutôt que de fermer une ligne de garde. Alors peut-on avoir confiance dans les services d’urgences des hôpitaux publics en 2021 ? Ma réponse est clairement non ! Je pense qu’il faut arrêter de brosser l’institution et les confrères dans le sens du poil pour éviter de faire des vagues. En 2021, certain service d’urgences comme celui de l’hôpital qui m’accueille sont des machines à erreurs ambulantes. Les services d’urgences étaient en décompositions avant la pandémie de covid 19… Imaginez l’état des services maintenant. Quand un membre de ma famille est hospitalisé aux urgences, Je me surprends à être plus inquiet du risque d’incompétence et de la probabilité d’erreur qui y règnent plutôt que de la cause ayant poussé à la consultation. Je dirais pour conclure que les services d’urgences sont remplis de bonnes personnes dans un mauvais système mal exploité. Vous pouvez faire vieillir un pétrus 1990 dans un tonneau en plastique et en plein soleil, je ne garantis pas le résultat tout pétrus qu’il soit. Il reste une question que peut être vous vous posez… pourquoi n’y-a-t-il pas plus d’affaires concernant ces erreurs médicales ? Sur ces erreurs, beaucoup sont rattrapées mais pas toutes. Quand elles ne le sont pas, elles sont étouffées par les équipes, si elles ne le sont pas, les familles n’en sont pas informées. Si elles le sont, elles se découragent à porter plainte, lorsqu’elles le font, l’administration les décourage à le faire, lorsque qu’elles persistent, les procédures mettent des années à aboutir et les médecins en causes poursuivent leur pratique. Lorsque le procès arrive et que la faute est imputée au médecin, on entend enfin parler de l’affaire dans les médias. Croyez bien que les « affaires » dont vous entendez parler ne sont que la partie émergée de l’iceberg. Le vrai scandale est quotidien, gardé secret dans ces urgences, réelle boite de Schrodinger dans laquelle, selon que vous êtes chanceux ou non, vous sortez vivant ou pas. « Il vient une heure où protester ne suffit plus, après la philosophie, il faut l’action » Victor Hugo
Iconographie: Le Pandémonium par John Martin.
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