COMMENT JE ME SUIS FAIT VIRER...
- Les carnets d'Asclépios
- 20 avr. 2022
- 7 min de lecture
Dernière mise à jour : 20 mai 2024

Eh! Salut toi!
Aujourd’hui, parlons de madame D., une femme de 75 ans qui présente deux antécédents importants. Le premier est une insuffisance respiratoire mixte liée à une cyphoscoliose restrictive et une bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO). Ne part pas tout de suite, je vais t’expliquer ce que ça veut dire…
La cyphomachin-truc-chouette, ça veut simplement dire que sa colonne vertébrale est déformée, elle fait un angle droit vers l’avant. Madame D est donc voutée et tu comprends bien que les poumons n’ont plus de place pour bien s’ouvrir, c’est donc une insuffisance respiratoire restrictive.
Ensuite elle a une BPCO, c’est ses bronches qui sont obstruées, le tuyau est plus étroit, l’air entre moins bien dans un poumon qui a déjà du mal à s’ouvrir. Flux d’air obstrué : insuffisance respiratoire obstructive. Tu vois, ce n’était pas la peine de s’énerver.
Bon, on a fait la moitié du chemin car cette patiente présente un autre gros problème : une rectocolite hémorragique (RCH).
…
Quoi ? Je dois expliquer aussi ? T’as pas Wikipédia ?
Alors là c’est une inflammation du colon qui entraine des douleurs abdominales, des infections, diarrhées, pertes de sang… Ben quoi ? Tu voulais savoir ! Maintenant tu sais.
Cette personne qui avouons-le, n’a pas vraiment de chance est hospitalisée dans mon service… le sort s’acharne.
Elle vient pour un syndrome inflammatoire que l’on attribue à sa RCH. Je vous passe les détails de l’hospitalisation, un traitement est instauré, la patiente s’améliore franchement, cinq jours se passent et nous décidons de la laisser rentrer chez elle.
Nous sommes la veille de son départ, je passe la voir à la visite, elle plaisante, elle rit, elle va bien. Un scanner abdominal est prévu dans l’après-midi pour contrôler les canalisations. Vient le moment de l’examen, Madame D. descend en imagerie et devant le scanner, brutalement, elle perd connaissance. Les manips radios comprennent vite qu’il ne s’agit pas d’un simple malaise mais que la patiente est dans le coma. Le 15 est appelé à la rescousse, la cavalerie débarque avec tout le matos, on charge la patiente sur un brancard et on la pousse aux urgences. Je suis appelé rapidement et je me précipite à son chevet.
« Que doit-on faire avec cette patiente ? »
C’est le docteur Q. qui s’interroge sur les suites à donner, en langage simple, c’est « doit on réanimer cette dame ? ».
Ma réponse est claire : « Oui ». Oui car elle n’a que 75 ans, oui car elle a toute sa tête, oui parce qu’elle a une vie sociale riche, oui parce qu’elle était demandeuse de soins et surtout, oui parce qu’on ne sait pas ce qu’il se passe. Peut être que la cause est curable donc bien évidemment qu’il faut tout faire pour donner sa chance à cette femme.
Je laisse donc le docteur Q. intuber très fièrement cette patiente et je regagne mon service. Son sort ne dépend plus de moi.
48 heures plus tard…
Appel des urgences, notre charmante consœur est de nouveau de garde et elle me contacte pour me proposer de reprendre madame D. dans mon service.
Je commets déjà le crime de demander des nouvelles : Madame D. est toujours dans le coma. Cette dernière ne supporte pas les tentatives d’arrêt de la machine à ventiler. En bref, elle a besoin d’un tuyau pour continuer à vivre pour l’instant. Je demande quel diagnostic est retenu : « Une pneumopathie » (Infection pulmonaire). J’acquiesce mais comme je regarde son dossier et le scanner en même temps que je converse, je comprends que le diagnostic est plus que discutable mais qu’on ne semble pas vouloir chercher plus loin. La suite est cocasse : le docteur Q. ne trouvant pas de place dans les services de réanimations du coin m’explique qu’elle décide d’arrêter les soins et de laisser mourir la patiente.
!
!
!
!
Bon,
!
!
Je ne sais pas si je suis le seul que ça choque, mais ce qui m’est dit, c’est que faute de place dans deux réanimations du coin (sachant qu’il y a au moins quatre hôpitaux dans un rayon d’une heure), on décide d’arrêter les soins.
Je fais bien répéter,
Mais oui, docteur Q. « ne sait plus quoi faire de cette patiente » et décide « De la laisser mourir » selon ses termes.
Il vous faut encore un peu de temps pour digérer ? parce que moi ça fait 2 mois et ce n’est toujours pas fait.
J’explique que je ne suis pas d’accord avec cette prise en charge, que je comprends qu’il soit délicat de garder cette patiente aux urgences mais que le manque de place n’est pas un prétexte pour ne pas donner sa chance à cette femme chez qui le diagnostic et le pronostic sont incertains. Soit il n’y a pas d’indication de réanimation, on ne cherche pas de place ailleurs et on arrête tout, soit il y a une indication de réanimation et on va au bout. Dans ce cas, le docteur Q. avait déjà appelé deux services de réa… pour quoi faire si la patiente n’avais aucune chance ?
Après m’avoir fait comprendre que je n’étais pas de bonne volonté, docteur Q. raccroche.
La situation me perturbe, je décide d’en parler à ma collègue et à ma cheffe de service. Tous les trois, nous reprenons le dossier et le constat est le même pour mes deux consœurs, l’urgentiste a perdu pied.
C’est à ce moment précis que j’ai senti l’odeur des emmerdes arriver. J’ai donc pris ma plus belle plume (mon plus beau clavier dans ce cas) pour noter le résultat de mon avis et de notre concertation dans le dossier de la patiente.
Deux heures se passent…
Nouvel appel du rez-de-chaussée : « Je viens de voir ton mot dans le dossier, ce n’est pas très confraternel » me lance-t-elle très agressive. J’explique qu’il n’y a rien de belliqueux dans ma démarche, que j’applique seulement la loi, que nos avis divergent et que les deux doivent être consignés puis discutés en réunion de concertation multidisciplinaire.
En effet, dans ce genre de situation, il n’y a jamais d’urgence à laisser mourir une personne. Une réunion doit avoir lieu entre plusieurs professionnels pour confronter les avis et proposer une démarche.
Ma collègue embraie en m’expliquant que si la famille porte plainte, elle sera embêtée. S’en suit des explications confuses, que c’est moi qui ai mal compris, qu’en fait, elle ne souhaite pas arrêter les soins mais seulement passer la patiente en LATA.
Pour information, LATA, en terme médical cela veut dire limitation et arrêt des thérapeutiques actives… comment être plus clair. En terme non médical, elle se fout de ma gueule.
Je sens la panique chez ma consœur qui sait pertinemment qu’elle est hors protocole, hors législation et je le comprends d’autant plus quand elle m’explique qu’elle a décidé de retirer le tuyau de la ventilation il y a une heure…
Un désagréable frisson me parcours l’échine.
Je lui demande avec qui elle a décidé de cette prise en charge. Réponse : le réanimateur de l’hôpital voisin qui n’avait pas de place et ne connaissait pas le dossier puis avec un anesthésiste de notre centre qui ne voulait pas s’en occuper : plus subjectif tu meurs. Et même en admettant que ces avis fussent recevables, nous étions six médecins en désaccord. Dans tous les cas la discussion s’imposait.
Elle tente une nouvelle fois de me confier la malade : « Maintenant qu’elle est extubée, tu peux t’en occuper » !
« Çà ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnait » dirait Audiard.
Ma réponse est sans appel, j’étais contre cette démarche, il est hors de question que je gère la mort par asphyxie d’une patiente consciente extubée sauvagement. J’en profite pour lui faire remarquer que ce qu’elle vient de faire sans s’en rendre compte, c’est ni plus ni moins qu’un meurtre et avec préméditation en plus. Le mot est violent, mais décider d’arrêter un système qui maintient en vie une personne dont l’avenir était incertain… c’est un homicide.
Docteur Q. rompt la conversation.
J’apprends deux jours plus tard que madame D. a été placée dans un autre service moins regardant que moi et qu’elle est décédée par asphyxie et de facto d’un arrêt cardiaque.
La semaine se termine ainsi et je pars en congé pour accueillir ma fille dans ce monde. Pendant mon absence, le docteur Q., qui est médecin titulaire quand moi je ne suis que remplaçant, va voir le directeur en menaçant de démissionner si mon contrat est renouvelé. Quand on sait les difficultés à trouver des urgentistes en ce moment, le choix fut vite fait.
Mais l’administration sait très bien que l’urgentiste s’est compromise, alors le directeur m’a proposé un entretien pour m’offrir un poste de chef d’unité tout en vantant mes mérites exceptionnels. Tout flatteur vit au dépend de celui qui l’écoute avait coutume de répéter l’un de mes maitres. Ce cher monsieur B., directeur de l’établissement, semblait vouloir étouffer cette affaire.
Voilà l’envers du décor de l’hôpital. C’est une belle histoire d’un petit établissement local en décrépitude qui laisse mourir des patients par négligence. Cet hôpital, c’est peut-être le vôtre. J’y ai vu tellement d’horreur que je déconseillerais à ma propre famille de s’y faire soigner. Voilà où nous en sommes. Je n’ai jamais remis les pieds dans ce panier de crabe.
J’ai une pensée pour la famille de madame D. qui ne saura jamais ce qui s’est réellement passé.
Je me souviens de son mari et de sa fille rencontrés le jour du « malaise ». Ils avaient été clair : « sauvez-là, elle veut vivre »
Alors comment ont-ils laissé les urgentistes la débrancher alors même que la patiente souhaitait des soins actifs :
Le mot magique…
Notre chère docteur Q. a présenté les choses de cette manière : « Il n’y a plus rien à faire, poursuivre les soins serait de l’acharnement. »
Si vous dites cela à n’importe qui, 99,99% des personnes vous répondront : « Ah non, pas d’acharnement ».
Sauf que !
Sauf que là, nous ne sommes pas certains que nous étions dans l’acharnement. Ma collègue s’en est peut-être persuadée, mais prise dans l’étau du manque de place, elle s’est mentie à elle-même pour se protéger et son égo à fait le reste.
Les faits sont pourtant là, elle a laissé mourir une dame qui aurait peut-être (Et la subtilité est dans le peut-être) pu vivre encore…
Aujourd’hui, cette histoire me hante encore. Qu’aurais-je du faire ? Que dois-je encore faire ? Prévenir la famille ? Le procureur ? la presse ? Dois-je me taire pour que rien ne change ?
Vaste problème que d'être soumis à sa conscience.
Iconographie: Image du film La Haine de Mathieu Kassovitz
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