LES BREBIS GALEUSES
- Les carnets d'Asclépios
- 4 mai 2022
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 20 mai 2024

Je suis tombé récemment sur une histoire effrayante et pourtant trop fréquente. Peut-être en avez-vous entendu parler, mais un étudiant en médecine de la faculté de Tour est actuellement poursuivi pour viol et agressions sexuelles. Bien qu’il bénéficie de la présomption d’innocence, ce dossier met au jour différentes problématiques de notre système universitaire.
Petit rappel des faits :
L’étudiant en question fait l’objet de cinq plaintes pour des agressions sexuelles et un viol, actes qui auraient été commis entre 2013 et 2020. Plusieurs étudiantes auraient subi des attouchements et l’une une pénétration non consentie alors qu’elles dormaient après une soirée privée. L’étudiant a été placé en détention provisoire puis remis en liberté sous contrôle judiciaire.
Après une interdiction de séjourner sur le territoire d’Indre-et-Loire, l’accusé a été admis à la faculté de Limoges pour la poursuite de ses études.
Je ne peux m’empêcher d’être interloqué par un fait important : l’interdiction de séjourner sur le territoire. J’entends bien que cette personne est présumée innocente jusqu’au verdict de son procès, mais si interdiction il y a, c’est que le tribunal dispose d’éléments importants.
La suspension de l’exercice professionnel se discute, et évidemment, la décision s’avère difficile compte tenu de l’absence de jugement. Mais que la faculté de Limoges décide de placer l’étudiant dans un stage de gynécologie relève au mieux de l’incompétence, au pire du cynisme.
Poursuivons par une information qui semble se confirmer. Le doyen de la faculté de Tour aurait, au cours d’une réunion dédiée à cette affaire, fait part de la difficulté du dossier compte tenu de la réputation des parents de l’accusé qui sont tous deux médecins. Le fait d’avoir des parents médecins ouvrirait-il des droits particuliers ?
Evidemment que oui, on le voit dans toutes les facultés de médecine, mais le fait que ce soit si ouvertement verbalisé est plus rare. Quoi qu’il en soit, vous l’aurez compris, si vous souhaitez violer, assurez vous d’être de bonne filiation.
Voilà pour l’affaire et nous laisserons à la justice le soin d’instruire le dossier (En espérant que l’institution de la Justice soit plus en forme que celle de la Santé).
Je ne reviendrai pas sur le harcèlement sexuel à la fac ou à l’hôpital que j’avais abordé dans « Une petite main en passant » et « La Pieuvre ».
Je voulais surtout profiter de cette histoire pour aborder un important problème au cours des études de médecine : l’absence de garde-fou permettant de filtrer les étudiants pendant leur cursus.
Je vais illustrer mon propos par un récit dont j’ai été le témoin.
Je suis en première année de médecine et au cours de cette affreuse année, il nous arrive de nous retrouver en petit groupe pour des cours de rattrapage/consolidation. Très rapidement, nous nous apercevons que l’un d’entre nous fait preuve d’un comportement inadapté. Contact distant, regard fuyant, phase de désinhibition, difficulté à exprimer de l’empathie, comportement parfois antisocial, crises de colères. Il redouble sa première année mais la réussit la seconde fois. Arrivé en deuxième année, il sera médecin.
Alors que son comportement continue franchement de déranger, il explique à qui veut l’entendre quel plaisir il avait eu à tuer le lapin de ses parents devenu malade.
Comme tout étudiant, arrive le moment de commencer ses stages à l’hôpital. L’un des premiers se trouve être les urgences. Très rapidement, son comportement inadapté l’oblige à être doublé pour chaque acte, c’est-à-dire que tout ce qu’il fait doit être validé par un interne. L’un de ses faits d’armes est d’avoir voulu pratiquer des gaz du sang (prise de sang réalisé spécifiquement dans l’artère radiale) avec un mandrin de cathéter bien trop gros est inadapté pour ce geste. Le problème n’a pas résidé dans l’erreur de matériel, mais dans l’incapacité à se remettre en question à tel point qu’il a fallu se mettre en travers de la porte du box des urgences pour l’empêcher de réaliser la bavure. L’intolérance à la frustration fut telle qu’il se mit en colère et quitta le service. Il a pourtant continué ses stages, à chaque fois des scènes surréalistes, à chaque fois le stage était validé. L’externat passe et le voilà interne de médecine générale. Comme le parcours l’oblige, il passe dans le service de gynécologie. Problèmes en vue, plusieurs plaintes de patientes remontent effectivement à la direction concernant son comportement. Je n’ai pas la teneur exacte de tous les faits sauf d’un. Il aurait complimenté une femme sur sa vulve lors d’un examen gynécologique…
La gynécologie passe et la pneumo trépasse. C’est dans ce service que surviendra le plus gros incident. Alors qu’il continue à prendre en charge des malades sans tact, sans empathie et surtout avec un excès de confiance en des connaissances qu’il ne possède pas, un aide-soignant décide de s’en mêler. Alors qu’il lui explique les bases de la communication avec les patients, notre interne s’emporte, saute au cou du soignant et l’enserre pour l’étrangler. Séparé de justesse avant que l’air ne vienne à manquer à notre victime, l’agresseur est suspendu.
L’aide-soignant a décrit une chose très précise lors de son agression : un regard froid et déterminé.
Malgré la suspension, notre cher ami revient à l’hôpital… dans un autre service.
On déplace le problème à défaut de le régler.
Aujourd’hui notre colérique a passé sa thèse et il est médecin dans un hôpital proche de chez moi.
La conclusion est celle-ci : pendant 10 années, l’université n’a cessé d’être alertée sur les dangers de laisser un malade s’occuper de malade. Aucune décision n’a été prise. Le pauvre étudiant a été jeté dans le grand bain sans aucune prise en charge. Je ne demande pas forcément d’exclusion du cursus mais une obligation de suivi médical ou bien l’orientation sur une spécialité n’étant pas au contact des patients. Nos encadrants (Chefs de service, chefs de pôle, responsables de promotion, doyens) n’ont fait que déplacer et se débarrasser du problème sans le régler. Je n’espère qu’une chose, ne pas voir de fait divers le concernant.
Quand je discute avec mes collègues d’autres générations ou d’autres facultés, tous me rapportent des cas similaires. Des cas comme celui-ci existent. On a coutume de dire 1 par promo. 1 sur 200 médecins. C’est peu mais lorsque vous tombez sur ce médecin pervers, violeur, assassin, … c’est un de trop.
Lorsqu’on devient interne puis praticien à l’hôpital, l’un des éléments du dossier consiste à présenter un certificat d’aptitude physique et psychique. Sur le papier c’est rassurant mais dans les faits, n’importe quel médecin titulaire peut le fournir. En général on demande aux copains. Mais cette profession si spéciale qu’est la profession médicale, ne mériterait-elle pas mieux ? Ne devrions-nous pas satisfaire à un entretien psy avant de venir se confronter à la misère humaine ?
Des modalités de reconversion ne devraient-elles pas exister ? Les encadrants ne devraient-ils pas disposer de réels moyens de pression ?
Quand repenserons-nous réellement cette institution vieillissante et dépassée qui est la nôtre ?
Je lance cette réflexion comme tant d’autres dans le flux tumultueux des réseaux sociaux…
Iconographie: Le Cri par Edvard Munch
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