TROMPE L'OEIL
- Les carnets d'Asclépios
- 8 juin 2022
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : 20 mai 2024

Ce matin le calme règne. Règles et flegme sont de mise, les chefs de service ont revêtu leur plus belle chemise. Aucun charriot d’obstrue le flux des soignants, même madame chicot semble s’être brossée les dents. Les cadres de santé sont présentes et présentables, les brancardiers sortis et sortables. Etonnamment, le service qui ne compte plus que deux infirmières au lieu de quatre depuis près de 14 mois se trouve à nouveau repeuplé, le carré est au complet.
Aucun ordinateur dans le couloir n’est allumé, les portes des chambres sont fermées, les médecins bougons sont bâillonnés quand les bouillonnants servent leur bagout. Lorsqu’on ouvre un dossier, miracle, les observations cliniques sont mises à jour. Ce qui doit être administré est prescrit et ce qui doit être proscrit et admonesté. Un seul patient dans une chambre simple et deux dans les doubles, ce qui parait simple et important dans la théorie aujourd’hui me trouble car d’ordinaire on double le simple et triple le double.
Aucun malade en transit dans le couloir, tout est bien trop calme et je le clame. Serait-ce un rêve que cette trêve ?
Quelle offrande propitiatoire aura permis une telle coordination, une telle alliance sous cette arche du soin ?
Je suis chahuté par ma fascination jusqu’à percuter ma cheffe, le docteure S. qui, sans ambages me lâche preste et leste :
« Va mettre une tenue barbouse, pas de vêtements civils sous la blouse ».
Comme si je sortais de 20 ans de coma et découvrais un nouveau monde prenant pourtant forme dans l’ancien, je me risque à baragouiner : « Mais je n’ai jamais mis de tenue »
« Aujourd’hui tu en mets une et fissa, c’est la certif que tu vois là »
La certif…
La certification est une commission « indépendante » envoyée par la haute autorité de santé afin d’évaluer le niveau d’un hôpital. Cela pourrait être très intéressant si ladite commission venait auditer les établissements à l’improviste. Un peu comme le passage des « fraudes » ou des services vétérinaires dans un restaurant, ainsi, les contrôleurs auraient tous loisirs de constater que les services sont dépeuplés par les soignants et surpeuplés pas les malades, que le secret médical et la confidentialité sont bafoués, les traitements mal prescrits, les observations non tenues, les patients non vus, les personnes non respectées, les urgences dépassées, que les rates se dilatent et les foies ne sont pas droit.
S’il en était ainsi, tous les hôpitaux seraient en faute. Alors pour éviter des situations gênantes, on prévient les directeurs d’établissement plusieurs mois à l’avance, pour que tout le petit monde s’affaire à préparer les quelques jours de contrôle. C’est comme pour la photo de classe, vous vous faites présentable et vous cachez la misère.
Je me rappellerai souvent de cette visite où l’hôpital a montré l’espace de quelques instants ce qu’il devrait être invariablement.
L’hôpital fu bien noté, l’HAS fut comblée et les rapports arrivant au plus haut sommet de l’état n’étaient que des nuages de paillettes dans un ciel radieux. Voici le décor de cette grande comédie, cette certif factice, cette notation bidon, la base d’un système en perdition. Comment garder la foi dans cette triste institution contrôlée par des bouffons préoccupés à réconforter des rois en carton ?
"Combien d’Hommes profondément distraits pénétrèrent dans des trompe-l’œil et ne sont pas revenus."
Jean Cocteau
Iconographie: La femme de chambre glissant la poussière derrière un drap de Bansky
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