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LE PARACHUTE ET LE DRAGON

  • Photo du rédacteur: Les carnets d'Asclépios
    Les carnets d'Asclépios
  • 25 oct. 2021
  • 6 min de lecture

Dernière mise à jour : 27 mai 2024



Il était une fois, dans un royaume de paix et de joie, le jeune prince Adam. Âgé de sept années, le garçon arpentait les terres fertiles et ensoleillées du pays de Séquanie. Il jouait au chevalier dans les prairies d’herbes grasses chauffées par un soleil roux et doux. De grands arbres aux mille couleurs se prêtaient aux parties de cache-cache, aux siestes ombragées, à l’ascension de leur tronc, à l’observation des diverses bêtes inoffensives qui peuplaient ce monde. On voyait, non loin des champs, à une ou deux lieues, se dresser des blocs colorés, certains ornés de toits de chaume, d’autres de tuiles rouge-orangé. Les pierres colorées complétaient la palette de ce tableau qui voyait s’ériger en son centre un château aux cent tours. Le jeune Adam parcourait la plaine, descendait la rivière, traversait les bosquets, jouait avec les animaux et jamais le souffle de la peur ou du danger ne l’effleurait car ses parents, le roi et la reine, avaient su créer dans ce pays un écrin de sécurité bucolique. Adam s’épanouissait en toute innocence comme on sait (et doit) le faire à cet âge.


Un dimanche matin, le petit garçon était parti tôt pour jouer avec ses amis de la forêt. La journée était parfaite, alors que les oiseaux rieurs chantaient, les écureuils suivaient l’enfant en lui lançant quelques noisettes comme les coquins qu’ils sont. Le jeune prince s’amusait à les éviter en se cachant ici derrière une racine, là sous un rocher.


Au château, tout le monde s’affairait car ce midi, une quarantaine d’invités étaient attendus pour célébrer Luc, le petit frère du prince Adam, qui fêtait ses un an. L’ambiance était à la joie, le donjon se bariolait de bandes de tapisseries colorées et brodées de coutures d’or. Chaque flèche sur les toits arborait un drapeau qui flottait dans la brise matinale transformant le bâtiment en navire géant voguant dans la campagne. Les nuages venaient paitre autour pour finir de dessiner ce ciel d’aquarelle. Peu avant midi, Adam traversa les portes du château pour venir se joindre à la fête. Pendant que les invités arrivaient, il décida de s’adonner à l’une de ses passions, sauter de la terrasse sud après s’être accroché à un parachute de couleur. Les vents de cette région avaient été apprivoisés et dressés pour prendre soin du petit prince. L’enfant s’élança et se posa sur l’air comme une feuille grâce à sa grande toile orange. Les convives riaient et s’émerveillaient devant ce spectacle d’un enfant si joyeux. Après quelques minutes dans les airs, Adam atterrit dans la cour du château décorée de fleurs. Un grand buffet était dressé sous une toile nacrée. La famille et les amis s’enivraient, les enfants couraient sous les tables volant ici et là une fleur ou une friandise. On jouait à chat, à un-deux-trois-soleil, on se racontait des histoires sur les héros d’un autre temps.


Alors que l’après-midi battait son plein, que le soleil chauffait l’atmosphère, un air doux continuait de rendre cette journée unique. Adam décida d’emmener son cousin Tristan pour une promenade en voile. Le vent d’ouest permet, lorsque l’on part du château, de voler jusqu’à la plaine. Ils décidèrent, chacun avec son morceau de tissu, de sauter du donjon et de se laisser porter par Eole. Les deux enfants passèrent par-dessus la cour, les adultes les saluèrent et applaudirent. Rapidement, les cousins dépassaient l’enceinte et admiraient les champs d’herbes hautes, ils sentaient l’air qui faisait monter le parfum d’une myriade de fleurs de saison. Adam vira vers le sud pour suivre les lacis de la rivière. Des dizaines de coccinelles l’accompagnaient au-dessus des saules de la rive gauche. C’est à ce moment qu’un courant frais s’insinua sous la chemise rouge de notre prince. Une ombre sembla passer comme un nuage fugace. Adam leva les yeux mais ne vit rien. Les coccinelles avaient disparu, Tristan était en train de se poser dans un champ de la rive droite. Le prince avait pris un courant d’air chaud ascendant mais de nouveau le vent froid apparut mais plus violent. L’enfant fut chahuté par cette noirceur qui semblait maintenant recouvrir le ciel. La nuit tombait en plein après-midi. Adam paniquait, il avait vécu toute sa vie dans ce comté qui ne connaissait que la paix, la sécurité et le bonheur. Ces parents avaient chassé tout le mal qui existait ici. Jamais il n’avait connu la peur mais voici que d’un coup, sans crier gare, il se sentait transpercé par la crainte. Alors qu’il tournoyait dans les airs, il voyait une silhouette énorme devant le soleil. Impossible d’en discerner les contours mais elle semblait fondre sur lui. Il souhaitait descendre plus vite mais sans réussite, il tirait et tirait sur les cordes et rien n’y faisait. Il se retourna et vit jaillir sur lui le danger. D’un coup il était propulsé dans le vide, son parachute déchiqueté et son corps détaché. L’oxygène s’engouffrait si vite qu’il l’empêchait de respirer, la chute fut longue mais trop rapidement il se retrouva sur le sol, désarticulé.


Inanimé mais trémulant, violenté mais respirant, paralysé mais vivant. Le roi et la reine qui avaient contemplé l’horreur de loin arrivaient à bride abattue sur les lieux du drame. Dans ce comté d’ordinaire si calme, le petit Adam venait d’être terrassé par le plus terrifiant dragon qu’avait connu la Séquanie, l’affreux Ischémia qui ne connaissait aucune pitié. Les parents arrivèrent trop tard, l’enfant était abîmé pour la vie.


Je me souviens de ce dimanche après-midi car j’étais présent. Alors que j’étudiais en quatrième année, j’attendais dans le bureau des urgences pédiatriques avec l’une des meilleurs collègues que la médecine m’ait offert. Nous discutions, rions puis ils sont apparues. Je me rappelle de ces deux parents, ce roi et cette reine qui arrivèrent avec le petit Adam dans leurs bras. Ses yeux et son visage à lui étaient tournés vers la gauche, il se retrouvait hémiplégique alors que deux heures avant il jouait dans la cour.


J’ai encore, dans le tréfond de mon âme, les regards de cette femme et de cet homme à qui l’on venait de tout arracher.

Je me souviens de cette injustice que j’ai ressentie, comment se pouvait-il que brutalement, un enfant de sept ans soit foudroyé par une maladie de vieux. Car Adam n’était pas tombé d’une quelconque altitude, il était tombé de sa hauteur, c’est la maladie qui l’a fait tomber, il est littéralement tombé malade. Mais pour lui, le mot tombé est trop léger car il a été foudroyé malade. Son corps s’est arrêté d’un coup, comme on éteint la lumière. En une fraction de seconde, l’innocence avait été fracturé par la maladie. La froideur de la mort était venue mordre dans son cou.


Le petit prince a fait un AVC. Une partie de son cerveau s’est arrêté de fonctionner brutalement.

À 15 heures 16 minutes et 22 secondes il était Adam et à 15 heures 16 minutes et 23 secondes, il était à terre. Le chemin de sa vie avait oublié de se tracer, comme ça, subitement. Le petit être de lumière s’éteignait doucement.

Il a été placé aux urgences vitales pédiatriques. La machine s’est mise en place sans un accroc et un chevalier blanc est apparu des ténèbres, le professeur T. Armé de son échographe comme seule lance, a percé le mystère pour découvrir où le mal avait frappé. Sa valve cardiaque accrochée tel un parachute par plusieurs cordes, s’était vue arrachée l’une d’entre elles. Le parachute s’est alors enroulé comme une torche dans le flux de ses courants de sang et a libéré des caillots partout et violemment.


Ce petit prince avait comme reine une maman qui l’aime, comme roi un père solaire. Son château était fait de petites briques assemblées par son papa. Son royaume, un lotissement d’un banal village rural. Ce monde venait d’être fracassé, non pas par un dragon, mais par une autre malédiction plus perfide, un vice de forme, une anomalie sans empathie qu’on appelle la maladie.

Le petit Adam avait hérité d’un cœur fragile qui n’était programmé que pour une courte durée.


Ce jour-là, j’ai reçu une terrible leçon, de celles qui ne figurent pas dans nos manuels, je fus frappé par l’injustice de la vie, j’ai appris à ne rien tenir pour acquis car nos parachutes ne tiennent qu’à un fil.




Iconographie: Metamorphosis de Vladimir Kush







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