LE NOEUD GORDIEN

Elle allait mieux, un pansement sur ses nœuds, la morphine soulageait les maux, le retour à la maison était trop beau. Hier matin je passe la voir pour lui annoncer que le retour est proche, elle me montre sa jambe qui d’un coup s’amoche : Paralysie subite, sortie interdite. Scanner et IRM ne nous révèlent pas de problème, la journée se passe pendant qu’un nœud la tasse. Ce matin j’y retourne et pas de ristourne, c’est la jambe jumelle qui s’en mêle. En vingt-quatre heures, les jambes sont hors circuit, à midi, c’est le ventre qui suit. Arrêt du moteur, les fils coupés au sécateur. IRM de la moelle épinière, un nœud se cachait derrière. Passé inaperçu sur deux scanners thoraciques, débusqué aujourd’hui à coup de résonnance magnétique. Un nœud vicieux venu embrasser sa moelle spinale cervicale… encore quelques heures et le coup sera fatal. Appel du neurochirurgien qui malheureusement ne peut rien, pas de mauvaise volonté, seulement un nœud mal placé. Comment expliquer à cette patiente qui en nous place tellement d’attentes que ses heures sont comptées et que le nœud va serrer. Quelques centimètres encore et ça sera l’arrêt respiratoire. Gorge serrée et mains tremblantes je crache à madame N. la sentence tranchante. Quelle force d’avoir en soi ce pouvoir, celui de déculpabiliser son médecin qui en lui n’a plus d’espoir. Le masque tombé pour la première fois depuis des mois. Difficile pour un soignant de perdre un combat. La pureté du rapport de l’humain placé au bout du chemin fait relativiser sur les petits problèmes qu’on veut bien s’imposer au quotidien. Je quitte le service sans être sûr que ce dernier nœud n’autorise ma patiente à voir le matin, je lui ai tout de même lancé un « à demain », voici la suite et la fin du nœud gordien.

Iconographie: La Dignité par Jean-Marc Zabouri

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