LA CROIX ET LA PANIÈRE

Quelle difficulté pour un médecin de ce siècle de trouver une veste.

En période de covid il est certain que tous les jours il faut changer de blouse. Arrivé en remplacement dans cet hôpital, j’ai notifié le besoin de bénéficié de ce soin. Malheureusement, deux mois plus tard j’y suis encore…

Voilà qui fait partie des petits et nombreux désagréments de l’hôpital public. Je vis ce que ressentent tous les internes de France deux fois par an. Á l’arrivée dans un nouveau service, l’une des croisades du premier jour consiste à attaquer ce lieu saint, la lingerie ce pèlerinage du matin. Alors que l’arrivée des internes est prévue trois semaines à un mois auparavant, la date effective, les services semblent désarçonnés quand la foule arrive. Fréquemment reçu comme des taulards au parloir, il s’agit de se dégoter une blouse à sa taille ce qui n’est en générale qu’un fantasme.

Etant médecin remplaçant, le premier jour en arrivant, je me dirige vers ce sanctuaire des vêtements. Je tombe sur une charmante dame qui probablement ne savait pas vraiment ce qu’elle faisait dans ce bâtiment. « Désole, ma collègue qui gère la lingerie n’est pas là aujourd’hui » voilà qui me tracasse… « Pourriez-vous me dépanner d’une blouse que je puisse recouvrir ma triste carcasse ? » J’ai eu la triste impression d’arracher un bras à cette brave dame qui je l’espère ne se l’est pas vu retirer sur son salaire. Me voilà tout de même habillé pour la journée, jusqu’à demain le problème est déplacé.

Jour 2, j’appelle en indiquant que, virus oblige, il me serait fort utile d’obtenir un stock de blouse pour que je puisse enfin chaque jour changer de peau et surtout éviter de m’emmitoufler dans les miasmes fétides plein de covid. Ce qui semblerait si facile devient en fait très pénible. On me répond, fort mal, que le service est doté de blouse de toute taille. Plutôt docile j’abdique et part en quête du Graal. Après de multiples percées dans les vestiaires de l’hôpital, force est de constater que rien ne m’habille, je dois me contenter de voler leurs guenilles aux hôtes de ces bois.

Après de moulte offensives, j’ai abdiqué et c’est dans le renoncement qu’est apparue mon salut, je fu livré dans le service d’un tas de vêtements de toutes tailles et de toutes provenances, après la disette l’abondance. Une semaine de change et tout a recommencé. Le chemin trouvé une fois semblait déjà oublié.

Alors cette histoire peut paraitre futile. Le caprice du médecin qui n’a pas de blouse ! et après ? La terre ne s’arrête pas de tourner !

Et bien justement si ! Parce que je relate ce problème, mais dans la même journée les mêmes difficultés vont se rencontrer dans toutes les tâches de la vie hospitalière. Alors quand le personnel hospitalier est occupé à se battre pour des broutilles qui devraient couler de sources, il ne s’occupe pas du cœur de son métier, les patients. La perversité réside dans le cloisonnement des responsabilités. Les responsables de la lingerie n’ont absolument rien à faire, car rien à craindre, de mes plaintes. Et c’est vrai que rapporté cette difficulté individuellement donne un air ridicule, mais l’amoncellement de ces dysfonctionnements est à l’image de l’organisation générale. Une armée est le reflet des compétences individuelles de ses soldats puis de ses bataillons et ainsi de suite.

Un galérien qui rame à contre-courant n’empêche pas la fronde, c’est lorsque chaque individualité décide d’opéré sa propre cadence en niant la cohésion de groupe que le bateau s’arrête et se trouve détruit.

En l’occurrence, l’hôpital à amorcer sa destruction il y longtemps et la lingerie prend l’eau. Le temps n’est même plus au colmatage des plaies, c’est un constat, le bateau coulera, ce n’est qu’une question de temps… en attendant je coulerai avec un pyjama trop grand.

Iconographie: Retour de Croisade par Claude Valéry

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