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DÉDALE

  • Photo du rédacteur: Les carnets d'Asclépios
    Les carnets d'Asclépios
  • 26 nov. 2021
  • 5 min de lecture

Dernière mise à jour : 27 mai 2024



Voici l’histoire de Clara, vingt-sept ans dont dix de souffrances.


Clara est jeune, Clara est belle mais Clara est malade. Depuis dix ans elle est atteinte d’une maladie de Crohn.


Cette pathologie est un charmant maléfice qui inflige une inflammation chronique et sévère du tube digestif. Aucune partie n’est épargnée, de la bouche à l’anus des incendies peuvent se déclarer. Evoluant par poussées, elle provoque de violentes douleurs abdominales, des ulcères, des aphtes, des diarrhées et des saignements digestifs. Comme si ce menu n’était pas suffisamment copieux, les complications sont fréquentes. Voici les réjouissances que la maison propose et qu’il faut redouter : Perforation intestinale, occlusion digestive, ischémie intestinale, sténose, fistule et abcès. Bien sûr, cette pathologie vous permet de combiner plusieurs formules rendant le tableau extrêmement désagréable.


Pour Clara c’est fromage et dessert. Vingt-sept ans et elle porte déjà depuis six années une poche sur le ventre qui lui permet d’éliminer ses selles. Elle a laissé de côté sa féminité, son intimité, sa coquetterie, sa vie sentimentale et cela pour mener un combat qui lui prend tout son temps, celui de sa santé. Cette femme connait sa malédiction et les maux qu’elle inflige, et pour cause, le traitement n’équilibre pas la maladie qui remet le couvert tous les six mois. Elle fait une indigestion de crises digestives et de leurs complications. C’est parce que dans son cas la pathologie est sévère qu’elle est suivie au CHU, seul centre spécialisé à pouvoir gérer le brasier.


Avant-hier survient une nouvelle crise. Rectorragies, douleurs abdominales, elle vient donc aux urgences. La prise de sang est faussement rassurante (c’est souvent le cas dans cette maladie). L’urgentiste ne juge pas opportun de proposer une imagerie. La patiente insiste gentiment et sans grossièreté, elle souffle qu’un scanner serait souhaitable compte tenu de son côlon irritable et des antécédents ayant aboutis à la pose de sa stomie.

Mais l’urgentiste, sûr de lui, a refusé et la patiente est rentrée.

Quatorze heures plus tard, les douleurs sont insoutenables et la patiente se présente de nouveau aux SAMU.

Autre médecin, même logique.

Vers onze heures du matin, la sonnerie de mon téléphone retentit. C’est le docteur Jean Nérienafaire qui me demande si je peux prendre en charge une jeune patiente en poussée de maladie de Crohn. Je pose quelques questions d’usage qui me semblent plutôt pertinentes, mais comme le disait l’un de mes maîtres, le problème avec le bon sens c’est que chacun s’en estime suffisamment pourvu.

Bref, je demande donc les résultats biologiques qui montrent un début d’inflammation. Je demande si le médecin en charge de la patiente au CHU est prévenu de sa présence ici et de son état.

Réponse claire et concise : « NON ».

Ben voyons, pour quoi faire ?

Je l’interroge concernant l’examen clinique : l’abdomen est très sensible. Une chance qu’il l’ait examiné (Ce n’est malheureusement pas du sarcasme mal placé mais du retour d’expérience).

Je continue donc mon raisonnement concernant ce qui a été décrit au scanner…

« Je n’ai pas fait de scanner » me lâche tranquillement le garant des diagnostics urgents.

Ma première réaction est de demander à ce que l’information me soit répétée, mais il me confirme qu’aucune imagerie n’a été réalisée. Deux passages aux urgences d’une patiente jeune qui est porteuse d’une maladie grave et les médecins jouent les cow-boys.

Je reste calme et j’explique simplement que d’après mon expérience en médecine interne, chez ces jeunes patients en poussée de maladie inflammatoire de l’intestin, souvent, il existe des complications graves et que l’on ne pourra pas faire l’économie d’un scanner en urgences pour juger de l’orientation de la patiente et de sa prise en charge. L’urgentiste, passablement agacé par ma remarque, souffle de façon ostentatoire et crache un « Et bien on va lui faire son scanner » et raccroche. Je ne pensais pas que le fait d’assurer à cette patiente la meilleure prise en charge puisse à ce point exaspérer un confrère…


Trois heures plus tard, nouvel appel des urgences et c’est ma collègue qui décroche.


Le scanner suspecte une ischémie intestinale, le médecin souhaite la faire hospitaliser. Pour simplifier, l’ischémie est un infarctus de l’intestin. C’est-à-dire que le tube digestif n’est plus vascularisé et risque de nécroser. Ma collègue pose la même question que moi, « qu’on dit les médecins du CHU ? »

Réponse : « pas appelé ! »

Le doc des urg ne comprend pas la logique qui anime ma collègue…

Pourtant nous sommes à une heure du CHU dans un petit hôpital de campagne qui ne dispose pas des ressources pour s’occuper d’une patiente potentiellement à risque d’aggravation. Pas de réanimation, pas de chirurgie digestive de gros calibre.

C’est alors que se livre une lutte entre un urgentiste partisan du moindre effort qui fait passer l’efficacité du flux aux urgences devant la sécurité de la patiente et qui souhaite dégager l’encombrante en faisant fi de sa pathologie et ma collègue qui a saisi le point de rupture pouvant faire basculer la jeune du mauvais côté de son destin.


Ma consœur craque et accepte finalement l’entrée…

Heureusement, elle cède pour une seule et unique raison : devenir la référente du dossier. Son intention et d’appeler le CHU elle-même, ce qu’elle fait car on n'est jamais mieux servi que par soi-même.


La patiente arrivait seulement à notre étage que le CHU était prévenu. Leur étonnement était total d’être informé de ce dédale. C’est alors que le transfert fu décidé sans autre forme de procès. La patiente est restée une heure dans nos murs avant de prendre un chemin plus sûr. Une chance que ce médecin ait corrigé le tir car la patiente aurait pu mal finir.


Á de multiples reprises, le parcours de notre patiente a failli bifurquer vers le fait divers.

C’est la misère de ce système mal fléché, ce labyrinthe où se trouvent postés des sentinelles aux intentions parfois mortelles. Ce milieu mortifère qu’on appelle hôpital et qui n’est en fait qu’un dédale fait de mensonges, de faiblesses, de couardises, de compromissions ou d’oisiveté dans lequel les malades sont chahutés sans jamais avoir conscience que leur vie est mise en danger. La patiente ne saura jamais qu’à trois reprises, son destin s’est joué sur un coup de dé. Tout sera bien enveloppé dans des explications vaseuses. L’urgentiste défendra son collègue avant de justifier son propre travail. Il affirmera avoir demandé le scanner de son propre chef. Ensuite ma consœur défendra les smuristes et moi je participe à cette escroquerie institutionnalisée. Tout le monde est content et la machine tueuse continue sa course folle faite d’une succession de trébuchements.


Voici encore une belle preuve de l’incompétence de notre système de soins dont il faut se porter très loin, car à chaque embranchement du chemin, il existe mille façons de finir dans le ravin.





Iconographie: Thésée et le Minautore par le Maître des Cassoni Campana







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