L'HOMOPHOBIE ORDINAIRE
- Les carnets d'Asclépios
- 24 juin 2021
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : 18 juin 2024

Ce sujet n’est malheureusement pas circonscrit à l’hôpital, c’est un phénomène courant mais il se trouve que j’y ai été confronté entre les murs d’un centre hospitalier.
Il est entre midi et quatorze heures, la journée est étrange et les heures se confondent les unes sur les autres.
Cette course folle dans le brouillard ardent du mardi après-midi est ponctuée par un temps mort qui m’a laissé un arrière-goût extrêmement désagréable.
Alors que je venais encore de rabattre son caquet au directeur qui était venu fanfaronner sur des sujets qu’il méprisait faute de les maitriser, je lui avais sèchement demandé de quitter le service pour nous laisser travailler. La sentence ayant été prononcée devant deux infirmières, un médecin et un interne, j’avais malencontreusement fait exploser son égo en mille morceaux. Je plaide coupable, j’y ai pris un peu de plaisir. Bref, cette escarmouche faisant, le directeur, plutôt mauvais joueur, a envoyé en mission un médecin de la commission pour me psalmodier un sermon.
Il se trouve que je connais ce docteur pour avoir travaillé avec lui quelques semaines. Plutôt versatile, il n’a pas la carrure du poste, c’est un arriviste mal dégrossi qui suscite plus le rire que la crainte.
Il vient donc me voir dans le service pour me demander des explications quant à mon coup d’éclat. Il me connait, il sait que je n’exulte pas gratuitement et que le coup était légitime. Il m’explique alors qu’il faut savoir de temps en temps « baisser un peu sa culotte ». Cette phrase a fini de me convaincre sur la droiture de mon interlocuteur, j’ai répondu tout de même un peu rieur : « -pour ma part vous ne verrai jamais plus que le haut de ma raie ».
Je le concède, la réplique n’est pas bien fine, mais quand on parle à un canard il faut savoir caqueter.
Sur ces entrefaites, l’un des internes de l’hôpital, de passage pour voir un de ces collègues, était entré dans le bureau. Il se trouve que cet interne est gay. Si cela n’est pas très intéressant, il est important de le préciser pour comprendre la suite. Il est important de savoir également que l’interne qui se prénomme Justin ne me connait pas ou très peu et que je ne suis pas sensé connaitre le sens du vent de ses amours.
C’est alors que l’envoyé du directeur répond à ma phrase ; qui était je le rappelle « Vous ne verrai jamais plus que le haut de ma raie » ; en tapant plusieurs fois sur l’épaule de Justin : « Calme-toi, calme-toi, on parle de raie mais calme tes ardeurs ». Douze petits mots innocents. Le médecin riait, Justin souriait poliment mais de manière honteuse, moi j’étais spectateur de ce spectacle écœurant. Le médecin est parti, Justin aussi.
Cette « boutade » lancé sur un rire gras un peu beauf pourrait être entendu dans un cercle d’amis proches et décomplexés, malheureusement nous sommes dans un hôpital, deux médecins et un interne, une relation de subordination de l’un sur l’autre et surtout devant moi qui ne connais presque pas l’un et très peu l’autre. Ce médecin idiot a violé le droit de Justin de s’exprimer sur ce sujet que peut-être il ne souhaitait pas aborder.
Ces mots idiots lancés au coin d’une machine à café, derrière un bureau, au réfectoire, quand ils sont répétés ici et là par des personnes certaines chacune de leur côté d’être inoffensives, voilà ce qu’est l’homophobie ordinaire et grossière qui fait le lit du mal-être de nos amis, de nos collègues et de nos internes.
« Je déteste le mot homophobie, ce n'est pas une phobie, tu n'as pas peur, tu es un connard.»
Iconographie: Tamara de Lempicka par Virginie Greiner et Daphné Collignon.
Comments