LE MUSEE
- Les carnets d'Asclépios
- 24 juin 2021
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : 18 juin 2024

La médecine n’est pas une science, elle est un art, mais si elle est un art, le médecin devient donc un artiste à prendre avec ses œuvres. Imaginez-vous un peintre comme Picasso se lançant dans un Guernica puis l’entreposant dans un garage ou pire, s’en débarrassant ? Et bien c’est le cas des médecins. Le plus beau des diagnostics peut être posé, la meilleure prise en charge proposée, personne ne viendra contempler la beauté du geste. C’est pourquoi chaque médecin possède son petit musée intérieur et que parfois il expose de manière ostentatoire son bijou. J’ai moi-même ce petit jardin secret où sont entreposés mes faits de guerre. Alors permettez-moi cet onanisme intellectuel mais je vais vous exposer l'une de mes œuvres. Je suis médecin en médecine interne et je suis d’astreinte de week-end. L’astreinte du week-end implique la gestion d’une soixantaine de patients, d’être réveillable la nuit, de gérer des entrées dans le service, d’autres problèmes en tout genre et surtout, être l’interniste qu’on appel en cas d’avis pour un problème relevant de la spécialité. Nous sommes dimanche soir, la journée est agitée, dix-huit heures trente approche et je m’apprête à rentrer chez moi quand la sonnerie de mon téléphone retentie. C’est l’urgentiste du circuit long qui m’appelle très fière de me proposer un cas de maladie auto-immune. Elle m’explique qu’une patiente d’une soixantaine d’année présente une sclérodermie et une fatigue intense. La sclérodermie est une maladie rare qui a pour particularité d’entrainer une sclérose de la peau. Le derme devient rigide ce qui a pour conséquence de figer les articulations. C’est effectivement une maladie exceptionnelle dont il ne doit pas exister plus de mille nouveaux cas par an en France. Heureusement que l’urgentiste a eu l’œil et le réflexe qui va derrière. Je sors de mon bureau qui jouxte les urgences et arrive dans le couloir. Je trouve ma collègue qui me fait une très brève synthèse du dossier puis qui m’introduit dans le box. Je me retourne et lui déclare qu’il ne s’agit pas d’une sclérodermie. Je demande à voir le bilan biologique et me dirige directement vers la formule de la numération et plus précisément vers les polynucléaires éosinophiles. Ils sont élevés. « Myofasciite de Shulmann… ». « Comment ? » me demande ma collègue. « C’est une myofasciite de Shulmann, un diagnostic différentiel de la sclérodermie systémique. Tu vois, la sclérose de la peau de cette patiente atteint surtout les épaules et les bras ainsi que les cuisses mais elle épargne les zones distales des mains et des pieds. La sclérodermie systémique c’est l’inverse, elle commence aux extrémités puis s’étend au reste du corps. De plus, l’augmentation des éosinophiles colle plus avec un Schulmann ». J’ai ordonné quelques examens à faire rapidement en externe pour peaufiner le diagnostic puis j’ai trouvé un rendez-vous rapide pour une consultation. Je me souviens bien des yeux de ma collègue qui était clairement impressionnée. Elle l’était probablement autant par le diagnostic dont elle n’avait jamais entendu parler que par la rapidité avec lequel il a été évoqué. La médecine interne offre ce type de fulgurance, et moi ça m’a offert une nouvelle pièce à accrocher dans ma galerie. La médecine est un art et ce type de flatterie personnelle semble passer pour de l’orgueil voire de la vantardise mais ces autoflagorneries sont essentielles à la bonne pratique médicale. C’est ce qui fait l’un des grands paradoxes de notre pratique. Nous sommes sincèrement touchés de découvrir des maladies rares ou complexes chez nos patients et en même temps nous sommes grisés lorsque notre intellect est mis à l’épreuve. C’est un moteur qui forge l’esprit. Ce qui aiguise notre faculté à bien diagnostiquer se trouve être de le faire bien et souvent. Comme le tireur qui ne devient bon qu’en tirant le diagnosticien ne devient bon qu’en diagnostiquant. Ces « Victoires » sont des confirmations de nos capacités. Chaque médecin construit son musée, et si cela peut sembler étrange, espérez tomber sur un médecin conservateur du Louvre plutôt que sur le gardien du musée de la saucisse.
Iconographie: Vue de la Pyramide du Louvre pour la campagne des 30 ans, agence Getty.
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