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YIN YANG

  • Photo du rédacteur: Les carnets d'Asclépios
    Les carnets d'Asclépios
  • 18 juin 2024
  • 3 min de lecture


Récemment, une réminiscence des temps troublés de l’ère covid s’est rappelée à moi.

 En l’espace d’un mois j’avais été confronté au contraste de mon métier comme rarement au cours de ma pratique. J’avais vécu le vide et l’amer, l’aride et le prospère.

 

Ce travail a cette particularité de vous remplir ou de vous anéantir à son gré et sans semonce. La médecine est une maitresse infidèle qui a la capacité de vous apporter des joies des plus pures ou de vous tuer sans fioriture.

 

J’avais été confronté à cette épidémie de covid nosocomial avec quatorze patients à prendre sous mes soins En plus de la charge émotionnelle, ces semaines violentes avaient réussi à me faire douter de ma place dans la chaine de soins. Pendant quatre longues semaines, la maladie avait chargé et piétiné le peloton de patients sans qu’aucune riposte ne soit possible. Alors bien sûr, je n’avais pas été spectateur, j’avais appliqué les protocoles, mais comme n’importe quel médecin aurait pu le faire. J’avais l’impression d’être là, à essayer de dévier un paquebot à pleine vitesse en lançant des cailloux. C’est extrêmement difficile pour nous autres soignants de se sentir impuissants. Soigner, voilà notre devoir. Diagnostiquer, voici le premier pas de la guérison. Mais quel était alors mon rôle quand le diagnostic était le même pour tout le monde et la prise en charge stéréotypée et sans aucune nuance ou presque. Même les diagnostics secondaires ne revêtaient plus aucune importance tant le pronostic du virus rendait annexes toutes les autres maladies. Quid du cancer du colon lorsqu’on perd ses poumons ? Que faire de l’arthrite du genou quand la respiration s’étouffe sous la toux ?

Au diable la dermohypodermite quand l’oxygène initie sa fuite.

Ma seule action était d’écouter, de parler, de rassurer, de préparer, d’anesthésier, de faire pleurer patients, familles, équipes. Mais alors, quelle était ma valeur ajoutée ?

 Ce qui semblait mis en avant étaient des qualités d’humain et non de médecin. A quoi pouvaient bien me servir dix années d’études si ce n’est à frustrer mes aptitudes en ce lieu de tristes vicissitudes.

 

J’en venais à me demander ce qui m’animais le matin. Que se serait-il passé sans moi ? Le service aurait-il moins bien tourné ?

Syndrome de l’imposteur te revoilà. Les gens mouraient avec ou sans moi, les autres vivaient de la même manière, seule comptait l’histoire naturelle de la maladie. Seule comptait la génétique, l’immunité, les comorbidités, la charge virale, mais au final, rien de vraiment médical.

 

Et puis il y a eu l’éclaircie, la fin des jours maudits, le virage vers le beau visage de la pratique.

 

L’épidémie s’est tarie et la pratique de la médecine resurgit.

 

Voici des patients bien différents qui ont réveillé en moi le médecin dormant.

En quinze jours, j’ai croisé madame B. qui dégustait son troisième épisode de pancréatite aigue sans diagnostic, voilà qui a excité mon côté méthodique. Il y eut ensuite Monsieur N. qui débarquait à cinquante-neuf ans avec ses deux embolies pulmonaires sous le bras. En l’interrogeant, il se trouvait pourvu d’un héritage familial.

J’avais creusé et trouvé un syndrome des antiphospholipides, atteinte rare pourvoyeuse de caillots qui nécessite un traitement anticoagulant à vie. Il y a eu ce monsieur U. qui arrivait avec ses troubles neurologiques que personne ne comprend, des spasmes de tout le corps, des troubles respiratoires ainsi qu’une aphasie apparurent brutalement au milieu de la nuit, hospitalisé et qui sont avérés n’être qu’une hypocalcémie pour laquelle le patient m’a mille fois remercié d’y avoir pensé. Voilà monsieur I. qui s’amenait avec son anémie suivie depuis une demi décennie et pour laquelle aucun médecin n’avait réfléchi. Avant la transfusion qui aurait été fatale, j’avais poussé les investigations et se fut radical, l’anémie hémolytique auto-immune se cachait là en embuscade. Il y avait encore monsieur R. avec sa neurosyphilis et monsieur E. avec sa suspicion d’endocardite infectieuse… Voilà que mon intellect changeait la donne, quel plaisir que de se sentir fonctionnel.

 

Voilà ce que put m’offrir la médecine et plus précisément la médecine polyvalente. Une dualité dans l’approche et dans l’exercice. Un jour vous êtes le passager des tumultes de la maladie, un autre vous êtes l’aiguilleur, le point qu’il ne faut pas louper pour le patient pour qui la vie ne tient qu’à un fil. Cette expérience m’a appris une chose : malgré tout le savoir du monde, il est dérisoire de s’acharner à tout contrôler.

 

« La médecine, c’est un art qu’on exerce, en attendant qu’on le découvre »

Emile Deschamps

 

 



Iconographie: Symbole du Yin et du Yang. Origine inconnue







 

 

 

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