L'ORIGINE DU MONDE
- Les carnets d'Asclépios
- 30 mars 2022
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 20 mai 2024

Jour de tempête, les éléments se déchainent, le vent se couche sur le monde. Les arbres ploient, la pierre hurle, les bâtiments encaissent les rafales violentes, la pluie horizontale fouette sans discrimination les rues, les forêts, les champs et les gens. Le temps est apocalyptique et pourtant je ne remarque rien. Je marche, j’attends, j’accompagne et tente d’apaiser ce qui ne peut l’être. Elle est là, elle souffre depuis des heures et je n’ai rien d’autre à offrir que des mots, une main sur le front, un baiser. Tout médecin que je suis, je me trouve fort démuni dans cette attente, cette patience forcée pour rencontrer la vie. Car c’est bien ce que j’attends ici : la vie. Neuf mois que nous attendons autour de cet écrin de chair. La vie à partir de rien, un sentiment, l’Amour puis deux génomes qui se rencontrent, des millions d’étreintes moléculaires pour que du néant naisse la lumière.
Cette vie se développe et nous vivons côte à côte sans jamais nous rencontrer comme des voisins ne connaissant l’autre qu’à travers une cloison. Il y a bien les échographies qui permettent de subites intrusions mais ce ne sont qu’ersatz et succédanées, des images volées et voilées.
Maintenant fini de rigoler. La machine humaine s’est mise en branle. L’organe de la vie s’essaie à l’expulsion de sa locatrice. La femme, ma femme, La Femme, souffre de la séparation. Voilà plus de douze heures que le séisme utérin déplace les plaques tectoniques. Le cataclysme extérieur n’est rien comparé à la tempête intérieure. Et moi je suis le témoin impuissant de la dérive des continents, je suis là, je ne suis rien, je marche sans but avec la fébrilité de l’humain face à la nature immense.
Dehors, l’ouragan redouble d’effort pour essayer d’arracher les volets qui nous séparent du monde mais ici personne n’y prête attention. Le vrai déluge se fait dans le ventre de ma compagne. Mon étincelle devient un brasier, un feu de vie, un feu de joie, un phénix qui brule pour laisser échapper un nouveau destin. Et moi je suis toujours là, un rien, un brin, un fétu de paille dans l’immensité du moment. Plus le temps passe, plus le moment se précise, les spasmes, les tremblements de terre se font plus pressants, plus certains et au centre de l’univers commence à poindre une petite terre.
Je me transforme, je sens pour la première fois la moindre de mes terminaisons nerveuses, le moindre millimètre carré de peau, le moindre de mes vaisseaux, je suis dans l’éveil parfait, la pleine conscience de mon être, je ne fais qu’un avec l’univers, je prends forme pour la première fois car je deviens papa.
Il y a une seconde je n’étais rien et maintenant je suis. Je donne naissance donc je suis aurait-il dû écrire. Je passe de ma triste existence égoïste à un être lié par la vie au reste du cosmos. Je ne vis plus pour moi, un être humain est maintenant complètement dépendant de ses parents et j’ai la responsabilité de cette dernière. Impossible de reculer, c’est un saut dans le vide vers l’inconnu. Mon existence m’échappe pour devenir magique. Dans cette maternité en ce 20 février à 16 :05 se trouvait le centre de mon monde. Plus rien n’avait d’importance. Les lois de la physique ne s’exerçaient plus : ni temps, ni espace, ni masse, ni matière, seulement de l’énergie pure. Le néant absolu autour de cette galaxie formée de la petite R., de sa maman et de cet Homme naissant : moi. Le temps était suspendu pour une éternité de quelques minutes.
La rencontre avec cette petite créature pure et innocente s’est faite dans les meilleures conditions possible.
J’ai malheureusement rarement l’occasion de le constater et autant en tant qu’usager que professionnel je suis atterré par le niveau médiocre de notre système de soins. Pour le coup, nous sommes tombés sur une équipe qui déjoue tous mes pronostics.
Passé la douche froide de la veille que je vous ai rapporté dans « de l’autre côté », cette journée était un sans-faute.
Arrivés en début de service à huit heures, nous sommes tout de suite pris en charge par Martine, sage-femme d’une cinquantaine d’années. Comment peut-on être plus à l’aise qu’avec cette personne avenante, douce mais professionnelle. Elle a su détendre de son mieux la maman sans oublier de m’impliquer dans la prise en charge. Elle a accompagné chaque moment en empêchant le stress de monter. Présente à chaque moment clé, nous étions certains que rien ne pouvait nous arriver. Epaulée par Elodie, l’assistante puéricultrice, elles ont mis en place le cocon pour accueillir notre nouveau monde. Malgré les restrictions de personnel et de lit que je sais drastique dans cet hôpital ; l’équipe est complice et la coordination parfaite.
De l’arrivée, à l’appel de l’anesthésiste puis de la gynécologue et même du pédiatre appelée en urgence devant l’absence de cris, pas une seule seconde nous n’avons eu l’impression d’être abandonnés.
Le regard critique qu’un médecin et une infirmière peuvent avoir sur le système n’on trouvé absolument aucune faille dans la mécanique qui s’est mise en place en ce dimanche
La suite a été de la même trempe. Voilà comment j’aimerais voir le système de santé, voilà ce que devrait offrir le service public. Pour avoir discuté avec Martine, les choses ne vont malheureusement pas dans ce sens et la fermeture de lits oblige à faire sortir les mamans en deux jours. Une chance que nous soyons arrivés un dimanche calme car elles ne savent parfois plus comment accueillir les patientes dans cet hôpital neuf sous doté en salles d’accouchements et en chambres…
Une pensée à cette équipe ayant permis la plus belle des rencontres.
Á ma petite Chérie, ma plus belle rencontre.
Iconographie: Photons, passage en vitesse lumière, film Star Wars
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