IL Y A UN AN...
- Les carnets d'Asclépios
- 16 oct. 2021
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 27 mai 2024

Nous sommes le 18 octobre 2021, il y a un an, jour pour jour, j’écrivais ma première publication « covid or not covid ». Si l’on remonte 365 jours en arrière, vous me verriez dans le stress de la deuxième vague de covid. Nous nous apprêtions à prendre notre deuxième grande claque de l’année 2020. Nous étions encore 6 mois avant le début de la vaccination, mais nous connaissions déjà l’ennemi. Je n’ai jamais été de ceux qui pensait que cette crise sanitaire rendrait ses lettres de noblesses au système hospitalier mais j’étais loin du compte en ce qui concernait son avenir. L’état a profité du chaos pour abattre ses cartes. Pendant l’année 2020, on entendait une rumeur devenant de plus en plus bruyante selon laquelle nous manquions cruellement de lits pour gérer la pandémie. Manque de lit, manque de personnel, manque de matériel. Nous avons même pu entendre, pour ceux qui écoutait bien, que nous manquions de lits avant la pandémie. Dans le brouhaha ambiant, et comme j’étais très attentif, j’ai également vu des chefs de service de réanimation se plaindre qu’au plus fort de la crise, des fermetures de places d’hospitalisation étaient imposées…
Etrange, se pourrait-il que l’Etat ait joué un double jeu ?
Maintenant, Faisons un bon en avant de quelques mois. Nous arrivons en juin 2021, je suis dans un hôpital local de l’Est de la France. Après la troisième vague, nous avons assisté au même phénomène qu’après la première : une désertification des hôpitaux. Un si faible remplissage des lits n’était jamais arrivé. Il existe toujours une plus faible affluence l’été, un mécanisme dû à la baisse de la transmission des infections et aux départs en vacances. Cette fois, la moitié des chambres des services de médecine étaient vacantes. Cette période inédite est intéressante sur le plan épidémiologique. Je m’hasarderai à quelques explications qui demanderaient à être vérifiées : peut-être que la population a déserté les hôpitaux par peur du dangereux covid-19 qu’ils renferment. Il est possible que se soit opéré un changement dans la prise en charge des patients en ville. Quand les médecins généralistes ont été délaissés pendant la crise, ils ont appris à se débrouiller seuls et autrement, alors peut être continuent-ils sans nous. Les hospitalisations à domiciles sont-elles devenues plus aisées à mettre en place ?
Il faut également prendre en compte les décès d’une grande partie de la population fragile, notamment dans les EHPADs, ce qui allège les urgences et les services qui les accueillaient parfois plusieurs fois par an. Tout cela, associé à la période estivale, pourrait expliquer ce trou d’air. Si les causes restent floues, la conséquence est d’offrir un peu de répit pour les équipes affaiblies.
Mais l’Etat, par l’intermédiaire des agences régionales de santé puis par l’intermédiaire des directeurs d’hôpitaux, a saisi l’occasion de porter le coup de grâce.
C’est alors que ces mots ont commencé à retentir : « Vous voyez bien qu’on n’a pas besoin d’autant de lits dans cet hôpital ». Et en deux temps trois mouvements, voici l’hôpital qui rapetisse. De la gestion à la petite semaine car on sait tous que les malades reviendront. On ne fait pas de la gestion hospitalière aves des chiffres datant de 3 mois.
Ensuite, afin de rentabiliser l’investissement, on a demandé aux urgences de remplir les lits vides avec tout et n’importe quoi. Problème de capteur de glycémie : on garde ; nuit agitée à l’EHPAD : on garde ; infection urinaire non compliquée : on garde ; une anémie non grave : vous avez compris le principe.
C’est le côté pervers de la T2A, la tarification à l’acte. Dans le passé, les hôpitaux recevaient une enveloppe globale pour l’année et ils devaient faire tourner l’établissement avec ce budget. Maintenant, l’hôpital est payé en fonction de son activité, c’est ainsi que les centres hospitaliers gonflent les factures en surdiagnostics où en bourrage de lit. Un lit vide ne rapporte rien à l’hôpital, alors les directeurs volent littéralement l’Etat en demandant de remplir les lits pour l’été. 1000 euros par jour et par patient prélevés sur vos impôts pour justifier l’activité. Les soignants pensaient souffler un peu, non, ils sont occupés à brasser du vent. Traiter un patient qui n’en a pas besoin c’est toujours travailler diront les directeurs.
Toujours dans le même hôpital, on souhaite fermer les urgences…
Cet hôpital draine un bassin de population très large car très étalé compte tenu du relief escarpé. Sans cette structure, certains n’auront pas de service d’accueil à moins d’une heure de route. Autant dire qu’il faut être en forme et le rester.
Alors quelles motivations amènent cette proposition ? Il arrive certaine nuit qu’il n’y ait pas d’activité pour deux médecins. C’est vrai, inutile de le nier. Sauf que parfois, il y a de l’activité pour trois et ils ne sont que deux…
C’est la médecine qui veut ça, c’est irrégulier, inprogrammable, imprévisible, incontrôlable. Un jour les urgences sont bondées et l’autre très calme. C’est comme ça que les équipes tenaient dans le passé. Les périodes calmes permettent de charger les batteries pour encaisser les coups de feu. Mais les comptables pensent autrement, ils calent le curseur sur les plus grosses journées, utilisant l’effectif le plus réduit possible, ce qui ne permet plus aux équipes de lisser les journées difficiles par des journées plus calmes. On travaille à flux tendu jusqu’à la rupture.
Dans ces mêmes réunions placées sous le signe de la bienveillance, on discute de faire passer le nombre de patient par infirmière de 10 à 14. Rentabilité, rentabilité, voici la douce musique qui efface la triste mélodie de la pandémie. Le remercîment de cette année de sacrifice sera : encore plus d’années de supplice. Les conditions étaient difficiles, mais nous avons montré que nous pouvions subir le pire, alors continuons à ce rythme…
Je parle de cet hôpital lorrain, mais il pourrait tout aussi bien s’agir d’un établissement breton, basque, alsacien, picard, languedocien, auvergnat, guadeloupéen ou de n’importe quel autre morceau de territoire de ce pays qui jadis possédait un prestigieux système de santé.
L’hôpital est une poudrière, les vagues de démissions rendent le personnel plus en colère, prêt au combat. Les rangs se resserrent, la misère fait le lit de la révolte. Ce n’est pas en lançant des miettes en guise de primes comme on lance un morceau de pain à un chien que l’on réforme un système déjà mort. Faire taire les soignants est devenu impossible.
L’état nous envoie ses pantins jouer avec des allumettes, ce qui aura au moins le mérite de les reconnaitre lorsqu’il faudra faire tomber des têtes.
Iconographie: Ursus Arctos tenant un buste d'Asclépios
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