GYNOCIDE
- Les carnets d'Asclépios
- 31 août 2021
- 8 min de lecture
Dernière mise à jour : 30 mai 2024

J’avais à cœur d’aborder ce scandale français susceptible de toucher vingt-cinq millions de nos concitoyennes.
C’est en discutant avec des collègues venant de diverses régions que je me suis aperçu de l’universalité du problème dans les hôpitaux de notre pays.
Le cursus des internes de médecine générale inclus un passage dans un service de gynécologie et d’obstétrique. Jusque-là tout semble cohérent, il est concevable que le jeune médecin voué à s’installer en libérale sache faire un frottis, poser un implant ou un stérilet, discuter de contraception ou traiter une mycose…
Sauf que !
Sauf qu’il va tout apprendre à faire sauf cela.
En plus de ne pas former les médecins à ce qu’ils devraient savoir-faire, on les utilise pour des tâches dans lesquels ils sont incompétents.
Immersion en gynécologie avec un médecin généraliste :
Il faut savoir qu’en arrivant dans les services de gynéco-obstétrique, les internes n’ont comme seul bagage que quelques connaissances théoriques acquises lors de l’externat. Autant dire que les bases sont précaires.
Alors voici comment se passe l’arrivée dans beaucoup (trop) de services.
Les internes débarquent et ne sont souvent pas attendu. Le médecin a oublié, les infirmières s’en moquent et les sages-femmes les ignorent. Où aller ? que faire ? autant de questions qui restent sans réponse jusqu’à ce que, Ô miracle, en milieu de matinée, un médecin sorti de nulle part donne enfin une raison d’être à ce troupeau errant.
Alors sans sommation, sans présentation, les internes sont dispatchés dans leurs missions respectives. Commençons en douceur avec le secteur des jeunes mamans, peut-être le plus intéressant. Il s’agit de s’occuper des parturientes ayant accouché dans les trois jours précédents. Surveillance clinique, biologique, gynécologique. Préparer la sortie, s’assurer de l’absence de saignement, ablation de points de sutures, suivi post accouchement. Toute cette activité pourrait être très intéressante si les internes n’étaient pas jetés dans les chambres comme le froid sur décembre.
Pas de formation, pas d’explication. Qui examiner ? quand ? Comment ? Où se trouve les ordonnances et les papiers ?
Et là on comprend la réticence des infirmières à croiser leur regard. Elles savent très bien que c’est elles qui vont devoir se coltiner l’encadrement, encore.
Voilà pour le service le plus sympa. Quand tu as moins de chance, c’est le bloc opératoire qui t’attend. Tu détestes la chirurgie, tu as déjà essuyé les plâtres des blocs pendant ton externat et tu souhaites fuir le plus loin possible de tout scialytique. Tu as donc choisi la médecine générale. Mauvaise pioche, retour à la case départ, ne recevez pas vingt-mille francs.
Tu vas retourner au bloc pour tenir les écarteurs d’un chirurgien lunatique qui va t’engueuler pendant quelques heures parce que tu es mal placé, tu bouges, tu bailles. Bref, tu vas pallier au manque de personnel et faire un travail inintéressant qui ne te servira à rien d’autre que de bien réfléchir aux choix que tu as fait durant ton existence. Mais si le bloc n’offre aucune perspective d’apprentissage, il nous met à l’abri de la dernière unité.
Dernière catégorie… La consultation des urgences gynécologique. C’est là que ce niche le vrai scandale.
Les urgences gynécologiques comme leur nom l’indique, se trouvent être les lieux de réception de toute urgence touchant à l’appareil gynécologique : Saignements, découvertes de grossesse, fausses-couches, douleurs ou hémorragies pendant la grossesse, mycoses, abcès mammaires, problèmes avec les contraceptifs et interruptions volontaires de grossesse.
Comme les collègues restés dans le service, ceux-ci vont être catapulté sans autre forme de procès.
Je vous laisse imaginer des internes tout frais qui arrivent devant une dame qui souhaite une interruption de grossesse et qui ne connait ni les modalités, ni le traitement, ni rien du tout.
Ça ressemble à ça : l’interne est gêné et la patiente le ressent, elle lit sur son visage les marques de son incompétence. Elle aura confirmation quelques minutes plus tard lorsque l’interne sortira appeler son chef ou même pire, qu’il l’appellera devant la patiente. Imaginez-vous s’associer à l’angoisse de votre pathologie celle d’avoir une personne perdue en face de vous et donc incapable de vous aider. Souvent, le médecin au bout du fil va demander si l’examen et l’échographie ont été faits. C’est là qu’on entre dans l’abjecte. Les internes pris entre deux feux n’ont d’autre choix que de placer la patiente sur la table de torture et d’introduire fort maladroitement un spéculum dans un vagin plus que frileux. Combien de fois me suis-je trouvé avec un doute devant des lésions que j’étais absolument incapable d’analyser et donc forcé à appeler le chef pendant que la pauvre dame a les jambes écartées sur la table. On recouvre d’un drap de pudeur cette dame qui a laissé sa dignité au vestiaire.
Le chef arrive parfois dix à vingt minutes après. La patiente est toujours posée là puisque le médecin peut arriver d’un moment à l’autre. Alors parfois on propose à la patiente de se revêtir. En général c’est l’engueulade quand le médecin débarque et exhorte la patiente de se déshabiller en humiliant l’interne pour avoir eu cette folle idée de faire perdre du temps au grand docteur. Imaginez également utiliser un échographe, une machine que vous n’avez jamais vu. Le démarrage est déjà difficile alors quand il faut le prendre en main, le placer profondément dans les entrailles d’une dame et que vous ne savez même pas ce que vous voyez ça s’appelle de la maltraitance. Maltraitance de la patiente et de l’interne.
Ces explications sont vraies pour toutes les pathologies suscitées que les internes de médecine générales sont incapables de traiter et qu’ils ne traiteront d’ailleurs plus jamais.
Je vais vous conter une histoire qui image bien la situation.
J’ai fait partie de cette chair à canon sur le front de la médecine des femmes.
Une patiente de vingt-cinq ans se présente à nous. Je dis « nous » car ce jour-là nous menions la consultation à deux internes. Cette patiente, qui prend la pilule, est malgré tout tombé enceinte. Ce n’est pas de chance mais ça arrive. Elle ne peut pas le garder. Plan de carrière, relation moyennement sérieuse avec le géniteur, elle doit arrêter le processus. C’est le début du semestre mais j’ai déjà quelques échographies à mon actif. « Quelques échographies » ça ne constitue pas une expérience, mais je commence à reconnaitre une cavité utérine et à voir s’il y a quelque chose à l’intérieur. C’est moi qui me colle à l’imagerie de datation. En effet, pour interrompre une grossesse, il faut savoir évidemment si grossesse il y a, puis la dater pour être certain que nous somme dans les délais légaux d’interruption et enfin préciser la technique à utiliser.
Je vois effectivement un œuf dans l’utérus qui d’après les estimations doit être autour de sept semaines.
J’appelle ma cheffe du jour, docteure M. pour qu’elle vienne valider la prise en charge parce que quand même ça n’est pas trop mon boulot.
Mais la cheffe ne vient pas.
J’imprime la capture d’écran et nous donnons rendez-vous à la patiente quelques jours plus tard pour la suite des événements. Le soir, quand le docteure M. daigne se présenter, elle regarde le cliché et valide le dossier.
La suite se passe bien, nous revoyons la patiente qui prend ses médicaments, les jours passent et elle se présente à distance pour une échographie de confirmation de l’expulsion de l’œuf.
Je m’y recolle. La patiente a saigné après la prise de traitement mais assez peu d’après elle. Je regarde la cavité utérine dans laquelle il semble rester un peu de sang mais a priori plus d’embryon. N’étant pas sûr de moi, et quand je ne suis pas sûr je le dis, j’appelle le Dr M. que j’ennuie beaucoup, car elle a quand même mieux à faire que de s’occuper des IVG. J’insiste parce que, quand même, je ne suis pas sûr de moi du tout. Mais vraiment, le docteur M. à d’autres choses à s’occuper. J’imprime une capture d’écran et nous laissons partir la patiente. Le soir, quand le docteure M. daigne se présenter, elle regarde le cliché et valide le dossier.
Quelques semaines plus tard…
Je suis de consultation (encore) et l’une de mes urgences se trouve être ma jeune patiente de vingt-cinq ans. Elle a très mal au ventre et présente quelques saignements. Je l’installe, applique l’échographe contre sa peau transpirante et je tombe sur ce qui me glace encore le sang aujourd’hui. Un bébé de plus de douze semaines avec un petit cœur qui bat, des petites mains et des petits pieds. Je ressens encore cette goutte de sueur froide parcourir mon dos. J’appelle la gynécologue, toujours la même, qui cette fois se déplace parce que je ne lui laisse pas le choix et que le ton de ma voix ne souffre d’aucune hésitation.
Le docteur M. arrive, s’installe, plaque l’échographe et conclue : il y a belle et bien un fœtus vivant qui ne se trouve pas du tout dans l’utérus mais dans la trompe droite. Grossesse extra utérine à plus de douze semaines, urgence chirurgicale.
Le temps pour la patiente de comprendre ce qui se passe qu’elle est déjà au bloc opératoire où j’ai été enrôlé de force. Me voilà habillé pour aider l’opératrice, toujours le médecin M.. Début de coelioscopie, la trompe est énorme. Au cours de l’intervention cette dernière éclate, hémorragie abdominale, chute de la tension artérielle, choc hémorragique… c’est le drame.
Après une heure d’intervention qui me semble des jours, la patiente s’en est sortie avec une trompe et trois litres de sang en moins.
Voilà une magnifique erreur médicale ou comment une jeune femme de vingt-cinq ans sans antécédent a failli mourir parce qu’on a placé un interne incompétent sur sa route, un interne que personne n’a voulu épauler alors qu’un coup d’échographe par un médecin expérimenté aurait tout de suite permis de voir ce que je n’ai pas vu : un pseudo-œuf gestationnel pendant une grossesse extra utérine.
C’est un signe que l’on peut voir dans les GEU, un faux œuf dans l’utérus qu’on prend pour le vrai. Difficile à cerner quand vous en êtes à chercher comment fonctionne la machine.
Le pire dans tout cela c’est que rien n’a changé. La docteure M. a essayé de me rendre responsable du problème pour se dédouaner. Maintenant je sais ce que c’est, je suis à sa place, je suis le chef et j’ai des internes sous ma coupe et quand ils font une erreur, je fais une erreur. Je l’avais appelé à chaque rendez-vous de la patiente, mais celle-ci avait toujours mieux à faire. On pourrait blâmer le docteure M. mais elle fait parti d’un système où il lui est demandé d’accomplir des consultations, de l’hospitalisation, une permanence d’urgence et la supervision des internes. La dernière mission est celle qui est la plus simple à esquiver. Le système et celui-ci dans la quasi-totalité des services de gynécologie des hôpitaux publics.
Mais la vie poursuit son cours…
Cette histoire est du gâchis. Le gâchis d’une trompe pour cette dame, le gâchis d’une hospitalisation sévère. Le gâchis parce que cette formation ne servait à rien, nous avons été placés là pour boucher un trou mais sans volonté d’apprentissage. Aucun médecin généraliste ne gère ce type de problème. Du gâchis parce que si j’avais été formé pendant ne serait-ce que mes premiers jours, j’aurais peut-être évité le pire. Un gâchis parce ces histoires se passent encore près de chez vous tous les jours avec vos sœurs, vos mères, vos femmes, vos filles, vos amies qui viennent chercher du réconfort et qui en fait viennent se mettre en danger dans les hôpitaux de la mort, les hôpitaux publics français.
Iconographie: L'Origine du Monde par Gustave Courbet
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